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GUARDIA.philosophes espagnols

Pour détrôner la vieille théorie médicale, c’est-à-dire le galénisme et l’arabisme, fortifiés depuis la Renaissance par le culte d’Hippocrate, surnommé le Divin, encensé comme une idole par le troupeau servile des commentateurs, il fallait renouveler la philosophie naturelle et fonder la connaissance de la nature humaine sur une base plus solide et plus large que l’hypothèse orientale des quatre humeurs, des qualités premières correspondantes, des trois âmes et des trois sortes d’esprits. En autres termes, il fallait commencer par démolir de fond en comble l’imposant édifice de la médecine grecque, commencé par Hippocrate, continué par les Alexandrins, achevé par Galien, conservé par les Arabes, restauré par les érudits, fréquenté comme un temple par la quasi-totalité des médecins élevés dans le respect superstitieux de la tradition classique et de l’orthodoxie. Entreprise ardue, presque surhumaine, car le travail de démolition demandait plus de courage et d’énergie que l’œuvre même d’édification. Paracelse, et plus tard Van Helmont, démolisseurs incomparables, y usèrent leur raison, et ne purent qu’ébranler, entamer la vieille forteresse, qui mit encore près de deux siècles à s’écrouler. L’usage veut que l’on traite de fous, d’hallucinés, tout au moins de visionnaires, ces deux grands révolutionnaires et réformateurs ; car, en médecine, comme en politique, il n’y a que le succès immédiat, incontesté, qui absolve et justifie les coups d’État.

L’échec de cette femme vaillante, qui la première imagina de réduire la nature animale en général, et la nature humaine en particulier, à l’unité souveraine du système nerveux, fut complet. Une pareille tentative ne pouvait réussir dans un pays dont les universités perdaient leurs franchises et renonçaient forcément aux traditions libérales et à la tolérance, sous un pouvoir ombrageux qui rendait l’orthodoxie obligatoire par la force et la persécution. Les docteurs orgueilleux et infaillibles n’admettaient point qu’on enseignât hors des écoles et sans s’être assis sur les bancs. Il ne fut tenu nul compte de ce manifeste féminin, renforcé d’un traité de physique générale et de cosmographie, d’un projet de réforme de la police civile et sanitaire, utile à consulter pour l’hygiène privée et publique, et d’une théorie nouvelle de la médecine, remplie de choses curieuses et intéressantes pour les médecins jaloux de connaître le passé, et même pour les philosophes en quête de vieilles nouveautés.

L’exposition complète des vues, des aperçus, des réflexions et paradoxes de cette doctoresse sans diplôme, savante, spirituelle, éloquente, fournirait ample matière à une étude sérieuse, à une thèse académique, à quelque docte mémoire. En attendant une réhabilitation éclatante, cette simple notice, accompagnée d’une