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ment par la mort, soit à l’âge florissant, soit en pleine maturité ! C’est que le flux du cerveau se précipite comme une pluie d’orage ; tandis qu’il se fait tout doucement chez les natures maladives, dont la vie précaire se prolonge indéfiniment. Ce flux lent et continu rend les hommes plus sages et intelligents, en desséchant progressivement le cerveau, d’où vient le jugement dans la vieillesse, tandis que les jeunes gens ont peu de jugement et que les enfants n’en ont point, à cause de l’humidité de leur cerveau. Cette théorie est de tout point contraire à celle de Cervantès, suivant lequel la folie de don Quichotte fut le résultat des veilles prolongées, qui desséchèrent à tel point le cerveau du bon chevalier, qu’il en perdit la raison. Ce rapprochement n’étonnera point ceux qui savent que les médecins espagnols considèrent Cervantès comme une autorité en pathologie mentale.

L’auteur ne met point en doute la bonté de sa doctrine, puisqu’il va jusqu’à prétendre que les vieillards engendrent des enfants très intelligents, y por esto los hijos de los viejos son mas hábiles.

L’antithèse du sec et de l’humide a soutenu pendant vingt siècles la médecine humorale, avec celle du chaud et du froid : les’qualités premières répondaient aux quatre éléments. Au lieu de s’aventurer en des explications subtiles, l’auteur remarque finement que les fruits produits par des terres humides ont moins de saveur et de durée. Du reste, il se moque agréablement des rêveries des anciens sur les années climatériques et de leurs combinaisons de chiffres cabalistiques (49 et 63 = 7 X 7 ; 7 x 9). Et au sujet de la croissance et de la décroissance du cœur, selon les Égyptiens, il se sert d’une formule qui revient souvent, notamment contre les médecins : Cuncta errore plena. Ce qu’il a fort bien vu, c’est qu’en tout la période d’état est de beaucoup la plus courte, et que les changements insensibles qui se font dans les périodes ascendante et descendante de la vie, transforment profondément le tempérament, le caractère, les mœurs, les passions et toutes les fonctions de l’organisme, bref, le physique et le moral.

Le tableau de ces changements insensibles est digne d’un médecin physiologiste, d’un moraliste observateur et d’un peintre de sentiments et d’idées. L’auteur n’a rien emprunté aux peintures classiques des divers âges de la vie, et les siennes sont si vraies, si ressemblantes, si vivantes, qu’elles échappent à l’analyse ; il faudrait les reproduire avec cette vigueur de pinceau qui n’est point donnée aux plus habiles copistes. Ce que cette femme supérieure a supérieurement compris, c’est que les sentiments et les idées de l’homme sont en raison de ce sens intime de la vie qu’il faut appeler la conscience organique ou vitale, et qui est le fondement de toute la psychologie.