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GUARDIA.philosophes espagnols

office, lequel consiste à favoriser la végétation de la peau, assimilée à l’écorce de l’arbre.

On voit ici un autre élément qui joue un rôle considérable dans la physiologie de l’auteur. Ce chapitre est fondamental et d’une grande netteté. C’est à partir de cet endroit qu’on voit nettement se dessiner la division des passions en deux classes : celles qui sont favorables, et celles qui sont contraires à la santé et à la vie. On ne saurait mieux établir l’étiologie morale des phénomènes vitaux. C’est la joie qui fait vivre ; c’est le chagrin qui tue. Les passions salutaires produisent la concorde des deux éléments, corporel et spirituel ; les autres produisent la discorde et ouvrent la porte aux maladies et à la mort. Platon le savait bien, mais les médecins n’ont rien compris à cette étiologie, aunque los medicos no lo entendieron. Cette manière de voir n’a rien de commun avec les théories humorales qui régnaient alors en tous lieux, et principalement en Espagne, où l’abrégé de Galien de l’illustre médecin et profond helléniste Laguna avait remis en honneur la doctrine galénique, commentée et propagée par les Arabes durant tout le moyen âge.

Sans doute, dit l’auteur, le cerveau prend sa part des aliments que l’estomac lui prépare, notamment pendant le sommeil ; mais les maladies produites par les excès de table ne sont rien en comparaison de celles qu’engendre le chagrin, en allant troubler l’âme même dans le cerveau où elle réside ; ce qui signifie que les désordres de l’innervation sont bien plus graves que ceux de la nutrition ; car le cerveau est le premier principe de l’harmonie entre l’âme et le corps, tandis que l’estomac n’est que le second. L’humeur qui s’écoule du cerveau sous forme de catarrhe est la cause principale des maladies et de la mort ; de sorte que, catarrhe vaut autant que décroissance du cerveau, catarro ó decremento del celebro, que todo es uno. Beaucoup d’épidémies n’ont point d’autre cause.

Il y a trois formes ou plutôt trois degrés de la matière catarrhale : partie venteuse (gazeuse), partie aqueuse, partie visqueuse ou flegme. C’est ce flegme qui se détache en dernier lieu, et qui, tombant sur divers organes intérieurs, produit les maladies ; ce qui veut dire que la plupart des maladies internes localisées sont du fait de l’innervation. Cette manière de considérer les désordres, altérations et lésions des viscères, était alors à peu près nouvelle, car il faudrait remonter jusqu’au médecin grec Arétée, pour trouver dans l’antiquité une doctrine analogue. On voudra bien remarquer, en passant, que ce grand peintre des maladies n’était ni solidiste ni humoriste ; il appartenait à la secte pneumatique, illustrée par Archigène, un des hommes qui ont fait le plus d’honneur à l’art médical.