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quand il veut se faire une idée claire du mode du ton, ce qui revient à dire implicitement qu’il remarque cette innervation quand il y fait plus d’attention.

Si, en présence de ce fait, nous considérons que mes représentations de sons, observées avec la plus grande attention, renferment toujours des sentiments musculaires ; que j’ai la conscience de ne pouvoir me représenter le ton qu’en chantant ou en sifflant tout bas ; que le timbre disparaît entièrement chez moi peu après avoir entendu la mélodie ; si nous considérons ensuite que certains individus, et parmi eux quelques musiciens de remarquable (talent, se prononcent dans le même sens ; cette possibilité, pour toutes ces causes, ne peut être que plus admissible.

Toute cette explication ne concourt-elle pas à prouver que ce n’est pas sans motif psychologique que nous avons traduit « ohne Klangfarbe » par : « aucune nuance de son » ; car nous voulions dire par là que la représentation est privée de toute image auditive, ce qui est plus compréhensible pour ceux qui ne sont pas musiciens que les mots sans timbre.

VI. Quelques nouveaux arguments.

Maintenant, je crois pouvoir alléguer encore quelques nouveaux arguments en faveur de ma théorie. C’est d’abord l’observation personnelle à la lecture de la musique sans instrument. Quand on a un certain talent musical, on voit se développer dans le cours de l’enseignement la faculté de lire la musique, comme nous lisons des livres des yeux.

Je n’ai pas la faculté de bien lire la musique, et cela surtout parce que je ne suis pas à même de chanter juste ou de me représenter par moi-même les sons écrits. Quand j’ai le premier ton, je puis à la vérité lire assez exactement quelques mesures comprises dans la portée de ma voix, mais c’est tout.

Dans ce cas, il y a exclusion absolue de toute représentation de timbre. Aussi peu qu’à la lecture tacite d’un texte j’entends les mots, aussi peu j’entends les sons, en lisant tacitement de la musique. Quand je lis tout bas des mots, leur image éveille en moi les muscles de la parole ou de son articulation ; quand je lis tout bas de la musique, son image éveille l’innervation des muscles du larynx.

À l’égard du langage, on allègue, il est vrai, contre ma théorie, que nous comprenons les lettres comme telles, sans langage intérieur. Mais il ne vient à l’esprit de personne de soutenir que nous