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s’aller noyer dans la Seine. En pareil cas, il ne s’agit que de gagner du temps ; la nuit porte conseil, et il n’y a plus rien à craindre quand la réflexion a remplacé l’emportement. Sénèque ne dit pas mieux en son classique traité De la colère. Un bon ami, la promenade au grand air, l’eau froide, la vue des champs, le bruit des arbres agités par le vent, le murmure d’une eau courante, la musique enfin sont aussi des remèdes très efficaces. Isménias, médecin de Thèbes en Béotie, appliquait la musique au traitement de toutes les maladies. Comme la colère n’est qu’une courte folie, il faut attendre pour agir que l’attaque soit passée, de peur de se préparer des regrets par trop de précipitation. La colère est une passion déprimante, en ce sens qu’elle produit une réaction inévitable, qui a pour effet d’abattre l’organisme et de le mettre en décroissance par suite de l’effort que fait l’âme pour se débarrasser de cet ennemi de la vie et de son cortège habituel ; car le cerveau où réside l’âme perd une partie de son suc, et le liquide cérébral s’écoulant goutte à goutte, le cerveau s’affaiblit, s’épuise, si bien que la discorde qui règne entre le corps et l’âme finit par avoir raison de la vie, sacudiendola y arrojandola de sí el ánima, y con ella el jugo del celebro donde se assentó. C’est ainsi que se consument dans le marasme les envieux, les mécontents, les malheureux que ronge la tristesse ; les uns sans fièvre, les autres en proie à la phthisie et à des éruptions graves de la peau, incommodes ou hideuses. Le besoin de réparer la perte du liquide cérébral pendant la veille fait que les gens tristes dorment plus que les autres, los tristes duermen mas que los alegres. L’espérance est le seul remède qui puisse guérir les maux nés du désespoir.

La crainte et la peur ne sont pas moins redoutables que le chagrin et la colère. Nombre de condamnés à mort meurent avant l’exécution ; et la peur tue aussi bien les animaux que les hommes. Beaucoup de femmes enceintes meurent victimes d’une peur imaginaire, ou avortent. C’est la peur qui engendre la mélancolie, laquelle atteint le cerveau et le cœur, et engendre à son tour le désespoir. La paralysie qui en résulte est un effet de l’écoulement abondant de l’humeur liquide du cerveau, laquelle produit le relâchement des sphincters. Voir les choses telles qu’elles sont, c’est le meilleur moyen de prévenir par la raison les suites d’une imagination déréglée.

L’amour tue de deux façons, soit par la perte de l’objet aimé, soit par l’impossibilité de l’atteindre. D’après l’auteur, nombre de veuves, en ce temps-là, ne pouvaient survivre à leurs maris ; la douleur les tuait. On a vu des animaux, notamment des chevaux et des chiens,