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GUARDIA.philosophes espagnols

effets des passions. Il est le seul des êtres vivants qui souffre du présent, qui se chagrine du passé, qui s’inquiète de l’avenir. De là tant de maladies et de morts subites, car le chagrin tue, et rien que l’imagination peut produire les plus pernicieux effets. Des exemples pris dans l’antiquité ou dans l’histoire nationale sont allégués comme preuves ; d’autres sont empruntés de la vie ordinaire pour montrer que les suites du chagrin ou du désespoir sont les mêmes dans toutes les classes sociales. Le chagrin met la discorde entre l’âme et le corps ; il en résulte la maladie, la mort ou la folie ; ce désaccord suspend les fonctions de la partie végétative, cessa la vegetativa, y hace defluo, y les da una calentura, etc. Cette étiologie de la fièvre consomptive, dite nerveuse, n’est point vulgaire.

Les femmes, en général, particulièrement dans l’état de grossesse, sont beaucoup plus sensibles que les hommes aux suites du chagrin et de la moindre contrariété. Combien d’enfants à la mamelle qui meurent victimes des peines de leur mère ! Il n’est pire ennemi de l’humaine espèce que le chagrin, qui mène toujours avec lui sa fille, la tristesse ; de cent hommes qui meurent, il en tue quatre-vingts, mueren los ochenta de enojo. Quand il frappe chez vous, fermez-lui la porte, puisque vous savez ce qu’il veut, et tenez-le à distance, de peur qu’il ne vous consume à petit feu. Il suffit de connaître l’instabilité de la fortune pour se prémunir contre ses revers, et ne pas souhaiter d’être toujours heureux, car il n’y a point de bonheur parfait et constant. Suivez l’exemple de Job, les préceptes de Sénèque et les bons avis du livre de l’Imitation. Le rapprochement de ces trois noms montre bien l’esprit de tolérance de l’auteur. Les bonnes paroles produisent aussi d’excellents effets, et les médecins ne savent pas de quelle ressource ils se privent, en renonçant à consoler ceux qui souffrent de ces maladies morales.

On voit que l’auteur ne partageait point le préjugé des médecins empiriques, ennemis de la méthode thérapeutique inaugurée par l’orateur Antiphon, lequel eut la singulière idée d’ouvrir à Corinthe un bureau de consolation pour le traitement des maladies morales. Cet essai ne réussit point, et l’inventeur fit à la tribune un emploi plus fructueux de son éloquence. Leuret n’est donc pas le premier qui ait conçu et appliqué le dessein de traiter les malades d’esprit par la logique et la morale.

La colère est une passion qui doit être traitée en douceur, par des moyens analogues ; en s’insinuant dans le cœur de la personne offensée, irritée, qui ne respire que la vengeance, la persuasion opère à peu près à la façon de Molière, lequel, comme on sait, arrêta ses amis décidés au suicide, au moment où ils voulaient