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V

Reprenons la théorie d’Anaxagore, et cherchons à répondre d’après elle aux questions qui se poseront dans l’âge suivant.

Pourquoi telle chose est-elle dite être ce qu’elle est ? C’est parce qu’elle participe à telle espèce ; elle est dite chaude parce qu’elle participe du chaud, etc. ; mais le chaud y est seulement présent, il est loin de la constituer tout entière.

Tout au contraire la même chose participe également au froid ; elle est donc chaude ou froide relativement aux termes de comparaison choisis ; le chaud absolu ou le froid absolu n’existent pas dans la nature, mais tous les corps naturels participent à ces deux espèces.

Bien plus, les corps se forment et se détruisent, les êtres naissent et meurent, le chaud et le froid échappent au devenir ; ces espèces subsistent éternellement sans altération.

Ces formules diverses ne se trouvent point dans les fragments d’Anaxagore, et il n’y a pas à les lui attribuer : mais c’est seulement parce qu’il n’avait pas à répondre aux questions indiquées ; autrement, pour tout esprit non prévenu, c’est bien ainsi qu’il y eût répondu. Lorsque ces questions furent soulevées, ce fut donc là la doctrine qu’on trouva implicitement dans ses écrits.

Or que sont ces formules ? Ai-je besoin de dire que je les emprunte à Platon, et que j’aurais pu multiplier les rapprochements ?

Sans doute, il y a toute autre chose dans le platonisme : les espèces d’Anaxagore sont des qualités physiques, les εἴδη du Maître peuvent être purement abstraites ou correspondre à des qualités morales ; les unes sont nettement immanentes à la matière, pour les secondes on peut soutenir qu’elles sont transcendantes (χωριστά).

Mais si la théorie des Idées est incontestablement une création originale, où trouvera-t-on, dans les doctrines antérieures, quelque chose qui en soit réellement plus voisin que la conception d’Anaxagore ? Il est vraiment singulier qu’Aristote, voulant nous éclairer sur le développement de la pensée de Platon, nous renvoie aux formules pythagoriciennes sur les nombres comme essences des choses, et que nous répétions encore cette explication plus obscure que la théorie à expliquer. La doctrine d’Anaxagore au contraire, bien conçue par un esprit philosophique, c’est-à-dire capable d’abstraction et de