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à l’infini » pour employer la formule de Pascal. L’imagination seule peut soulever quelque objection, mais elle ne doit pas avoir voix au chapitre.

Développons donc les conséquences de la thèse posée, et voyons où elle conduit logiquement ; nous examinerons ensuite si Anaxagore avait effectivement tiré les mêmes conclusions, ou s’il avait suivi quelque voie particulière.

Ce que nous regardons comme les éléments des corps, ne peut être distingué que par des qualités différentes, et par qualités nous entendons des conditions déterminées de phénomènes tombant sous les sens. Dire que la division des corps n’arrivera jamais jusqu’à isoler les éléments, n’a donc qu’un sens possible, c’est que dans la partie, si minime qu’elle soit, on retrouvera les mêmes qualités que dans le tout, c’est-à-dire les mêmes conditions capables de produire des phénomènes du même genre.

À ceci nulle difficulté, étant admis, bien entendu, que d’une part, le degré des qualités, leur valeur intensive, peuvent être très différents dans le tout ; que d’autre part, les phénomènes produits peuvent n’être plus susceptibles d’être perçus, ce qui arrive naturellement, soit parce que la quantité de matière devient trop faible, soit parce que le degré de la qualité n’est pas assez élevé.

Nous voyons dès lors que pour l’objet de la science, c’est-à-dire l’explication de telle ou telle classe de phénomènes, nous n’avons pas à considérer ces éléments insaisissables sur laquelle notre attention se portait à tort, mais bien des qualités ; ces qualités, pour l’abstraction scientifique, nous apparaissent, d’après les phénomènes auxquels elles correspondent, comme déterminées pour chaque corps de la nature et pour chacune de ses parties, mais aussi comme variables d’un corps à l’autre, et d’une partie à l’autre, en telle sorte néanmoins que, pour chaque point déterminé, elles aient une valeur précise qui sera la limite vers laquelle tendra la qualité de la molécule enveloppant ce point, alors que l’on en fera décroître indéfiniment les dimensions.

À chaque point de la matière se trouvera donc attaché un coefficient pour chaque qualité considérée (densité, température, état électrique, etc.) ; le nombre de ces qualités, qui sont de pures abstractions, peut d’ailleurs être indéfini, mais on conçoit que, d’après les lois naturelles reconnues ou à reconnaître, la connaissance de telle qualité peut être liée à la connaissance de telles autres, en sorte que, pour l’étude, il suffira de choisir un certain nombre de qualités que l’on considérera comme primordiales et auxquelles on rattachera les autres.