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auxiliaires particuliers. Pour notre conscience le « son » est un tout, une image physique indivisible[1].

Quand le souvenir des sons de l’instrument sur lequel on a entendu une mélodie a disparu, les parties dont il était composé ont de même disparu.

L’assertion de Henle que les mélodies, une fois que le timbre en a disparu (dans le souvenir), ne se jouent intérieurement que d’une manière abstraite, est donc parfaitement compréhensible. Il n’était pas exercé en psychologie ; il n’aura eu dans ses vieux jours[2] ni la faculté ni la disposition nécessaire pour s’examiner si exactement. Mais, par cette observation, il a en tout cas trahi le maître ; la représentation auditive privée de toute sensation était bien une chose abstraite pour lui.

Ce n’est pas à moi à m’occuper des ouvrages des musiciens. Mais, d’après les citations que nous donne M. Stumpf, de Gurney et O. Jahn, il paraît que la représentation auditive détachée des impressions sensorielles leur est connue, et qu’ils l’ont qualifiée d’abstraite.

De ce qui vient d’être dit, il ressort qu’il n’y a pas le moindre doute que Stumpf était de l’avis de Henle. Ce n’est qu’après que je lui eus fait remarquer que l’expression de « représentations abstraites » ne pouvait être employée par un psychologue, qu’après que je lui eus rappelé qu’une mélodie devait contenir des représentations de sons d’une certaine hauteur, intensité et durée, ce qui ne répond aucunement au mot abstrait, ce n’est qu’alors, dis-je, qu’il a subitement fait volte-face et qu’il a décliné la responsabilité de ce terme.

J’ai déjà montré qu’il n’a pas été très heureux dans son argumentation, qu’il s’est fourvoyé dans le cul-de-sac des sons simples sans timbre et avec timbre. Mais cela est chose bien accessoire. Cherchons à nous faire une idée claire de ce qui reste, quand une mélodie a perdu (dans le souvenir) son timbre.

Les sons des mélodies se distinguent donc dans notre représentation d’après leur hauteur, leur durée et leur intensité. Il nous a été concédé de tous côtés qu’on peut percevoir ces différences par le secours des innervations musculaires. Henle déclare donc lui-même

  1. Il importe très peu ici que cette règle soit faussée par quelques exceptions ; que quelques individus particulièrement bien doués parviennent à force d’attention à discerner, dans un son composé, les sons constitutifs, non seulement parce que cette aptitude est rare, mais parce qu’en écoutant une mélodie, pareille décomposition n’a pas lieu. Des musiciens du plus grand talent m’ont assuré qu’ils ne saisissaient les sons de leur instrument qu’au total et qu’ils ne les font qu’ainsi revivre en eux.
  2. Il pouvait avoir soixante-dix ans quand il écrivit cette lettre.