Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/259

Cette page n’a pas encore été corrigée


LA THÉORIE DE LA MATIÈRE D’ANAXAGORE


I

Anaxagore de Clazomène fut, comme on sait, le premier physiologue qui vint s’établir à Athènes ; il ouvrit ainsi la série de ces hôtes illustres, qui, non moins que ses propres enfants, devaient faire de l’antique ville de Cécrops, pendant près de deux siècles, la capitale scientifique du monde ancien.

Anaxagore est aussi le premier dont la vie ait pleinement présenté le type du dévouement absolu à la science, de la recherche désintéressée de la vérité pour elle-même ; c’est sur ce modèle qu’a été conçu l’idéal de la vie contemplative, tel qu’il brillait devant Platon et Aristote, tel qu’il est encore digne de guider nos pas. Sans doute, toutes les légendes qu’on raconte sur le Clazoménien, ne méritent pas une aveugle confiance ; mais leur accord unanime atteste l’impression profonde que laissa son noble caractère.

Né d’une famille riche, il abandonne son patrimoine à ses parents et se voue tout entier à l’étude ; toute sa vie, il néglige ses intérêts, il attend même qu’on lui offre le nécessaire ; la persécution ne lui manque pas, tous les malheurs le frappent ; il restera supérieur aux événements. Il se peut qu’il n’ait pas traité de l’éthique[1], mais il fut une morale vivante.

Il vit la science devenir une carrière lucrative[2] ; il ne chercha pas à en profiter ; heureusement il trouva un protecteur dans le grand homme d’État qui dirigeait alors les destinées d’Athènes ; plus tard,

  1. Favorinus (Diog. L., II, 11) dit qu’il fut le premier à voir dans les poèmes d’Homère des allégories concernant la vertu et la justice, et qu’il ouvrit ainsi la voie à son disciple Métrodore ; mais celui-ci semble avoir plutôt recherché dans Homère des allégories physiques.
  2. Quand Anaxagore vint à Athènes (vers 456), Protagoras allait commencer à professer ; c’est aussi l’époque où Hippocrate de Chios enseigne la géométrie à Athènes et où des Pythagoriciens, pour se faire de l’argent, publient les travaux mathématiques de leur maître.