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JOLY.la sensibilité et le mouvement

mouvements lui ramène plus fidèlement ses émotions personnelles. Néanmoins, il garde une liberté que l’hypnotisé n’a pas. La comparaison involontaire et incessante qu’il fait du présent et du passé se mêle à ses impressions renouvelées et les modifie, changeant souvent, comme on sait, le souvenir des douleurs en joie et le souvenir du plaisir en cuisants chagrins.

Mais, encore une fois, nous touchons ici à un nouveau, à un dernier mode de la sensibilité, à la sensibilité organisée, tempérée, raffinée ou exaltée par l’imagination et l’intelligence. Il est donc temps de nous arrêter.

VII

Concluons toutefois en peu de mots. Faire tout partir et tout procéder de la sensation dans le développement de la nature humaine est impossible ; car tout plaisir et toute douleur, tout sentiment de nos mouvements musculaires, toute excitabilité, tout appétit, toute émotion supposent une activité préexistante.

Le fond de notre être est donc une activité, destinée si l’on veut à être éprouvée, avertie, guidée par la souffrance plus encore qu’elle ne doit être stimulée par le plaisir, mais qui, préexistant à la douleur, peut espérer de pouvoir la dompter et lui survivre.

Cette activité est avant tout celle de la vie. Mais n’est-elle qu’une résultante accidentelle d’activités élémentaires, dépendant des propriétés d’une portion quelconque de matière et soumises, chacune de leur côté, à un mécanisme indépendant ? On a vu que non. Tous les phénomènes de la sensibilité se tiennent étroitement, et tous supposent au fond le besoin. Or, tout besoin est expression du développement harmonieux de l’être total. À la spontanéité qui est dans chaque partie répond donc la finalité qui est la loi supérieure de l’ensemble et la première condition de sa durée.

D’où vient cette flexibilité des besoins qu’éprouve la personne humaine ? D’où vient la variété si grande des plaisirs et des douleurs qui l’affectent et les nuances innombrables des émotions qu’elle se plaît tant à exprimer ? Tout cela tient à ce que l’homme ne laisse pas cette spontanéité première se développer seule, même sous la loi de finalité qui la régit. Il modifie sa propre vitalité de mille manières par les tentatives que lui suggèrent ses idées, ses constructions d’images et ses croyances : au lieu de se laisser vivre au jour le