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encore. Nous hésitons entre le besoin de nous plaindre et celui de nous parer d’un bonheur apparent qu’on pourra croire obtenu par notre énergie et notre mérite. Mais la lutte même de ces deux tendances prouve la réalité de chacune d’elles. Quand aucune n’est assez forte pour l’emporter, elles se neutralisent l’une l’autre, ou bien elles ne se révèlent tour à tour que par une expression plus insignifiante : elles n’en existent pas moins toutes les deux.

Cette liaison des signes expressifs aux sentiments et cette propriété qu’ont les premiers de ramener les seconds par réaction, ont été examinées sous bien des rapports. C’est une étude que nous n’avons point le désir de recommencer ici, car elle est vaste. Rappelons seulement qu’elle peut avoir à embrasser trois cas principaux.

Tantôt il s’agit de la reproduction imposée et docilement subie de signes expressifs provoquant dans toute leur vivacité les sentiments qui y sont liés : c’est le cas de l’hypnotisme et de tous les états analogues.

Tantôt il s’agit de mouvements expressifs qui nous sont proposés, auxquels nous sommes comme invités à nous associer, si nous le voulons, car on désire faire naître en nous certains sentiments, ceux-là précisément qu’on croit avoir rendus : c’est le cas de l’art et des beaux-arts.

Tantôt, enfin, c’est nous-mêmes qui, en possession de notre liberté, reproduisons spontanément les signes d’une émotion naissante ou d’une émotion jadis épuisée dans sa totalité : c’est le phénomène de tous les jours, c’est le jeu incessant de la vie.

Dans le premier de ces trois cas, le sujet n’oppose aucune résistance : son imagination est surexcitée, mais enchaînée, elle est prête à tout ; c’est pourquoi l’expression artificielle des sentiments développe en lui, dans toute leur naïveté et toute leur violence, ces mêmes sentiments.

Dans le second cas, les mouvements représentés visent souvent à exprimer des sentiments personnels, des états d’âme fugitifs ou rares ou compliqués. Quand ils s’offrent à nous, ils peuvent donc nous surprendre dans une série d’émotions et de représentations d’une nature assez différente. C’est ce qui fait que tout le monde ne correspond pas également aux intentions de l’artiste et à celles du poète, et qu’il y a quelque chose de relatif, parfois même de conventionnel, dans la vertu émotive des signes expressifs propres aux beaux-arts.

Dans le dernier cas, enfin, c’est l’individu qui se replace lui-même dans l’état où il s’était déjà trouvé : ce sont ses propres mouvements qu’il se représente ; ce sont ses propres signes qu’il reproduit. Il se retrouve donc plus aisément, et la représentation imaginaire de ses