Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
246
revue philosophique

VI

Parmi les mouvements que les divers états de sensibilité provoquent et qui réagissent à leur tour sur la sensibilité, on sait qu’il faut placer les mouvements d’expression. C’est là un sujet très vaste et sur lequel on a déjà beaucoup disserté. Nous ne pouvons l’aborder ici que de biais ; mais nous voudrions, à cette occasion, montrer deux choses : 1o comment toutes les lois importantes que nous avons rappelées tout à l’heure se retrouvent encore ici, car le mouvement expressif n’est que la continuation et le développement des phénomènes que nous venons d’étudier ; 2o comment les mouvements d’expression réagissent sur la sensibilité de celui qui les produit. Peut-être aurons-nous, à ces deux points de vues, quelques aspects intéressants à signaler.

Les mouvemens d’expression expriment plus d’un phénomène sensible. Ils expriment d’abord le besoin, puis la passion durable, et enfin l’émotion, quels que soient d’ailleurs les nuances et les degrés de ces divers faits psychologiques. Le besoin est ce qui s’exprime avec le plus de vague. En effet, le besoin est la fonction naissante, ébauchée, se préparant en dedans : il est plus difficile au spectateur d’en suivre les manifestations et surtout de les démêler. L’homme habitué à l’analyse des symptômes de tout état pathologique verra bien les signes de la faim et ceux de la soif ou ceux de maint autre besoin physique ou moral : mais il lui faut pour cela une certaine science et de l’habitude. Aux yeux du vulgaire, les besoins ne se manifestent guère que par les signes connus de la souffrance ou de la joie. Souvent, il est vrai, les circonstances extérieures, le lieu où l’on se trouve, la nature spéciale de l’acte qui s’y accomplit[1], nous aident à interpréter plus sûrement les signes donnés. Le convive qui a de l’appétit se reconnaît vite dès les premiers moments du festin, car on sait pourquoi il est à table et l’on sait ce que veut dire son air de gaieté. Quand ces indications supplémentaires font défaut, l’expression reste beaucoup plus confuse. Les gens que nous rencontrons dans les rues, par exemple, ont pour la plupart quelque préoccupation

  1. C’est ce qui fait que, dans les tableaux, l’expression des attitudes et des physionomies a besoin d’être commentée par la mise en scène et par les indications que fournissent les accessoires.