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l’intéresse, mais qui ne peut être atteinte directement par l’exercice d’aucune fonction physiologique, alors il s’opère, par ce groupement même, une coalition de tendances et d’efforts qu’on a bien le droit d’appeler une force. Au sentiment de cette force, heureuse, elle aussi, de s’exercer, est lié un véritable besoin. Cela nous suffit ici, sans que nous soyons obligés d’entrer plus avant dans la partie métaphysique de la question. Montrons, en quelques mots, comment ces besoins d’un genre nouveau se mêlent aux besoins primitifs et comment ils s’en séparent graduellement, au point d’en arriver quelquefois à les combattre.

D’abord l’idée se mêle aux besoins physiques préexistants. Elle leur demande en quelque sorte de faire jouir l’individu d’une façon plus conforme aux exigences acquises de son esprit. L’homme sociable et l’homme ombrageux, l’avare et le prodigue, l’indifférent et l’ambitieux, l’homme inculte et l’homme de goût, ami des jouissances esthétiques, l’homme qui ne tient qu’au plaisir physique et celui qui porte en toutes choses le souci de la bienséance et de la moralité ne se laissent pas toujours entraîner également par les mêmes besoins. Les uns s’y abandonnent sans réflexion : les autres les arrêtent, au moins quelque temps, les tempèrent ou les rectifient, les assujettissent à certaines conditions, leur font contracter des habitudes qui corrigent la première nature. Ces habitudes ne changent pas tout, assurément ; mais, si le fond reste identique, les actions qui en émanent ne gardent pas les mêmes caractères et le rythme même de leurs mouvements sensibles et organiques est modifié.

En second lieu, ces besoins nouveaux déterminés par des imaginations et des croyances provoquent des mouvements qu’aucun besoin physiologique n’eût fait naître. Ils réclament en effet des satisfactions : si ces dernières sont impossibles sans divers actes physiques, il faut bien que l’organisme se mette en mouvement pour exécuter les actes voulus. Ce n’est pas par suite des exigences d’une fonction physique que l’astronome a besoin d’aller à son télescope, le savant à ses appareils, le peintre à son atelier, le musicien à son piano, que le curieux descend dans la rue, que l’homme charitable et courageux court à l’incendie au moment où l’égoïste poltron s’en détourne le plus vite possible, que l’homme d’affaires veut absolument sortir à l’heure de la Bourse, que l’amoureux ne peut plus tenir en place quand il sait l’heure venue de trouver en tel endroit l’objet de sa passion.

Mais ces besoins peuvent mettre surtout en mouvement des craintes, des espérances, des vœux, c’est-à-dire encore des représentations diversement combinées : ils n’en impriment pas moins à l’organisme