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JOLY.la sensibilité et le mouvement

de ce concours qui éveille en nous la douleur, à l’occasion du besoin. C’est alors en effet que notre effort devient violent et difficile. Il devient difficile parce qu’il lui manque une de ses conditions essentielles : il devient violent en raison même de la difficulté qu’il éprouve et de l’espèce d’impatience irréfléchie qui en est la conséquence. On sait comment dans la soif le chien tire la langue. Nous-mêmes nous cherchons à provoquer des sécrétions qui humectent au moins notre bouche, et nous essayons des mouvements de déglutition qui dérouillent notre gosier desséché. Quand le sommeil attendu tarde à venir, nous nous retournons de tous les côtés pour trouver une situation plus commode. Tant que cette souffrance n’a pas atteint ce degré que nous expliquions dans notre dernier article, elle enveloppe donc un effort par lequel nous essayons de la faire cesser. Ce mélange d’effort et de douleur caractérise la seconde phase du besoin. Mais nous n’étonnerons aucun psychologue en disant que les deux phases empiètent souvent l’une sur l’autre, de telle sorte que l’effort pour obtenir une satisfaction agréable et l’effort pour faire cesser une privation douloureuse se mélangent : l’un et l’autre concourent à nous expliquer la nature vraie du besoin, en même temps que la diversité fréquente de ses symptômes.

Pour mieux marquer la valeur générale de cette explication du besoin, reprenons celui qui de prime abord semble demander qu’on le mette à part : le besoin de sommeil. Les conditions ne sont-elles pas ici tout opposées à celles que nous indiquions tout à l’heure ? N’y a-t-il pas tout simplement suspension de fonctions, refus d’agir et de penser ? Non, ce n’est pas ainsi que la physiologie moderne nous l’explique[1]. Elle n’admet sans doute pas sans restriction cet aphorisme un peu exagéré d’Hippocrate : somnus lubor visceribus. Mais elle voit dans le sommeil « une fonction ». Ce n’est pas seulement pour elle une simple réaction, réparant les forces épuisées par cela seul qu’elle ne les emploie pas. Le sommeil est un « accumulateur de forces », dit Lasègue. Et comment cela ? Le travail qui s’accomplit dans l’état de veille produit, on le sait, deux sortes d’effets, surtout pour les organes de la vie de relation : d’abord il épuise la provision de matériaux par lesquels l’organisme alimente ses fonctions, car il les désassimile ; puis il encombre les tissus de certains produits que cette désassimilation même a rendus nuisibles ou inutiles[2]. Parmi ces

  1. Voyez sur ce sujet Preyer : Les causes du sommeil (Revue scientifique du 9 juin 1877) ; Mathias Duval, art. sommeil du Dictionnaire Jaccoud ; et Lasègue, Études médicales, tome 1, p. 429.
  2. C’est là, comme on sait, l’objet des beaux travaux et des récentes découvertes de M. Armand Gautier.