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L’excitation extérieure peut bien hâter ce réveil, elle ne suffit pas à le produire, si elle ne trouve pas un organe préparé à la recevoir et capable d’y correspondre. Lorsque la « délectation prévenante » opère, c’est que cette première ébauche, tout intérieure encore de la fonction, s’assurant de son organe, mesurant ses forces disponibles et commençant à les développer, provoque un ensemble de mouvements nécessairement agréables. L’individu en effet s’y sent lui-même et il s’y sent capable d’action. Cette capacité n’est pas une abstraction pure, puisque la sollicitation qui commence à en faire l’épreuve vient généralement à l’heure où, l’organe s’étant reconstitué par l’assimilation de matériaux utiles et l’élimination de déchets nuisibles ou superflus, cette force emmagasinée, demande à s’employer[1]. On dira qu’il est des besoins où domine de beaucoup le sentiment passif d’un déficit à combler ou d’une superfluité embarrassante à rejeter. Il y a en effet des diversités dans les besoins, et nous ne tarderons pas à y revenir. Mais dans ceux même qu’on serait tenté de nous opposer il y a une action qui est nécessaire, il y a un travail exigeant encore une certaine force dont nous avons le sentiment net ou confus. Autrement, nous en sommes réduits à l’un de ces états de paresse et d’indifférence pour lesquels la médecine a un luxe bien connu de termes expressifs : inappétence, anorexie, marasme dyspeptique ; là les fonctions somnolentes s’engourdissent peu à peu, et le malade finit par perdre, avec la force, non seulement le besoin de la vie, mais la vie même.

Tout sentiment agréable (à moins d’être arrivé à son terme, c’est-à-dire à sa perfection) enveloppe un effort destiné à le continuer. Or le plaisir dont nous parlons n’en est qu’à son premier début : il est donc inévitable qu’il y ait ici un mouvement de plus en plus prononcé pour en assurer la durée et en accroître la vivacité.

Mais aucune de nos fonctions ne suffit à son propre travail : aucune ne s’accomplit, pour ainsi dire, toute seule. À la faim et à la soif il faut des aliments et des boissons, parce que nous n’entretenons notre organisme qu’avec des matériaux appropriés tirés du dehors. À l’exercice du sommeil il faut une situation convenable où le corps soit étendu, où les membres n’aient qu’à se laisser aller, où les sens puissent se clore contre les impressions des agents externes. À la satisfaction génésique il faut le concours d’un individu d’un autre sexe. C’est l’insuffisance, c’est le retard, c’est le manque prolongé

  1. Nous avons déjà exposé cette même thèse dans un chapitre de notre ouvrage sur L’homme et l’animal. Il s’agissait d’expliquer l’origine de l’instinct. C’est à un autre point de vue et avec des faits beaucoup plus nombreux que nous y revenons ici.