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presque complet qui ne s’est pas reproduit dans le petit nombre d’expériences que j’ai faites dans ce sens.

Mais M. Gibert a essayé trois fois ces suggestions mentales et avec plus de succès. Le 19 avril il lui suggère par la pensée de venir au-devant de nous à trois heures le lendemain. À l’heure dite, elle se tenait près de la porte et s’avança vers moi, mais elle s’enfuit à la vue d’autres personnes. La suggestion fut bien plus curieuse le 22 avril devant MM. Myers, M. Ochorovicz et M. Marillier. Ces messieurs la choisirent eux-mêmes et en virent le lendemain l’exécution complète. M. Marillier va la raconter, je ne ferai qu’une observation. Le sujet, ce jour-là, s’endormit après l’exécution de la suggestion, c’est qu’il tenait à la main un album de photographies qui lui rappelait le portrait de M. Gibert et l’a fait penser à dormir. Quelques jours plus tard, ces messieurs étant partis M. Gibert suggéra de même à Mme B… d’arroser le jardin ; le lendemain, à deux heures vingt, elle prit un seau, le remplit d’eau et arrosa le bas du jardin. Après l’acte, elle se retira et ne s’endormit pas, le trouble se dissipa peu à peu.

Nous avons découvert une autre action de la pensée sur Mme B… pendant son sommeil, d’un effet beaucoup plus certain. Le sommeil hypnotique de ce sujet est maintenant assez compliqué ; il se compose d’un grand nombre de phases qui ne sont probablement que des degrés de sommeil. Une influence très minime, un léger souffle suffit pour faire passer le sujet d’une phase dans l’autre. M. Gibert était persuadé dès le début que le commandement mental pourrait amener le même résultat, et il fit même parcourir au sujet plusieurs phases par ce moyen : ainsi, il la réveillait facilement des phases léthargiques et la faisait entrer dans le somnambulisme lucide. Ce n’est qu’assez tard vers le 12 mars que j’ai réussi à produire ainsi le cycle complet des états. Sans toucher Mme B… le moins du monde, en me tenant à deux mètres d’elle, je pensais qu’elle devait se réveiller et elle parcourait toutes les phases consécutives en poussant un soupir caractéristique à chaque changement. Mais il faut faire à ce propos plusieurs remarques. D’abord le phénomène est devenu de moins en moins net, car les phases qui primitivement duraient chacune fort longtemps deviennent maintenant très courtes et changent spontanément. Ensuite le parcours commandé par la pensée se fait presque toujours dans le même sens de la léthargie à la catalepsie avant d’arriver au somnambulisme ; ce n’est que rarement qu’on a pu par le commandement mental faire parcourir les phases en sens inverse. Enfin, il est presque impossible de réveiller entièrement Mme B… par ce procédé ; le plus souvent elle recommence indéfiniment la série des phases. Une fois cependant M. Gibert réussit ainsi à la réveiller complètement : c’est un fait très intéressant, car il est l’inverse du commandement mental du sommeil, mais il est difficile à reproduire.

Vers la fin de ces séances, j’ai obtenu une autre action encore par le commandement mental. J’ai pu, en me tenant près d’elle, la faire lever entièrement et marcher en travers de la chambre rien qu’en y pensant ; mais M. Gibert a réussi dans ce sens une très belle expérience à laquelle