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chez moi vinrent interrompre ma singulière occupation. Il me fut impossible de la reprendre, et, quand une heure plus tard, je pus aller au pavillon où Mme B… se trouvait, je croyais l’expérience absolument manquée. Mme B… était sur une chaise, endormie en apparence depuis plus de trois quarts d’heure ; sur ma recommandation, personne ne l’avait dérangée. Je voulus lui prendre la main pour provoquer les contractures caractéristiques, mais elle tressaillit immédiatement, ouvrit les yeux et se leva en disant qu’elle ne dormait pas du tout. Cependant, le regard était hagard, la démarche titubante, et je dus même la soutenir pour la mener dans une autre pièce. D’ailleurs, elle se rendormit bientôt complètement en me touchant la main. N’y a-t-il pas quelque chose de curieux dans cet étourdissement, ce demi-sommeil se produisant exactement le jour et l’heure où moi-même j’avais songé à l’endormir sans y mettre le temps suffisant ?

Le 5 mars, d’ailleurs, dans les mêmes conditions et cette fois vers cinq heures du soir, je pensai à l’endormir pendant 10 minutes et je la trouvai peu d’instants après dans le même état de catalepsie déjà décrit.

Le 6 mars, ce fut M. Gibert qui essaya de l’endormir ainsi de chez lui et à une heure toute différente, à huit heures du soir. Il y réussit parfaitement, quoiqu’il n’eût pas endormi le sujet depuis huit jours. Remarquons que ce jour-là une tierce personne avait réglé sa montre sur celle de M. Gibert et observait de très près Mme B… On la vit s’endormir exactement à huit heures trois minutes. Une pareille précision rend toute coïncidence fortuite bien difficile à supposer.

Les jours suivants, nous n’avons pas essayé de sommeil à distance et le 9 mars, quand j’ai voulu recommencer, j’ai échoué.

Le 10 mars, c’est M. Gibert qui endort le sujet de chez lui ; il fit même ce jour-là une expérience des plus intéressantes. Mais, comme je n’ai pas pu y assister et qu’elle fut recommencée plus tard, j’en retarde la description. Point de tentative le 11 ni le 12. Le 13, je l’endors de chez moi à quatre heures et je le trouve à quatre heures un quart en état de catalepsie. Ce jour-là encore elle cousait du même mouvement automatique un ouvrage qui paraissait compliqué et qu’elle exécutait assez bien, mais très lentement. Sans rien dire, sans la toucher, par conséquent sans la prévenir de ma présence, je me contente de lui commander par la pensée qu’elle doit dormir encore et plus profondément. Elle pousse un soupir, les mouvements des mains s’arrêtent et elle reste immobile dans la dernière position. J’insiste encore et elle retombe en arrière dans la plus complète résolution musculaire. Le choc sur les tendons du poignet produisait maintenant les contractures particulières à la léthargie. C’est là un exemple de cette augmentation du sommeil par le commandement mental que nous avons signalée avec plus de détails dans l’article envoyé à la Revue scientifique sur les phases intermédiaires de l’hypnotisme.

Le 14 mars, à trois heures, je l’ai encore endormie de la même manière