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La transpiration palmaire dont je viens de parler ne se produit pas chez tout le monde dans les circonstances que j’ai indiquées, car plusieurs personnes, interrogées à ce sujet, m’ont répondu négativement, mais elle n’est probablement qu’une exagération d’une action cérébrale centrifuge constante, trop faible ordinairement pour se traduire par un effet appréciable.

La représentation mentale d’une situation périlleuse est accompagnée, chez moi, d’un courant nerveux centrifuge qui, on peut le remarquer en passant, est dirigé vers les organes les plus aptes à rendre service dans les situations imaginées. Toutefois, ce courant nerveux ne produit aucun mouvement musculaire. Est-ce parce qu’il se produit dans un état d’esprit parfaitement calme où une action musculaire n’aurait aucune utilité et parce que, dans ce cas, le courant nerveux inutilisé par les muscles, produit seulement un effet thermique d’où résulte la sueur ? Je rappelle à ce propos que cette sueur ne se produit pas si j’ai les mains froides ; dans ce cas, en effet, l’augmentation de température peut exister sans que la chaleur normale de la main soit dépassée.

Le hasard vient de me présenter un cas analogue au mien et dans lequel une émotion vive ou une surprise a provoqué à la fois des mouvements involontaires et la sueur palmaire. Ayant poussé une exclamation brusque très près d’une dame occupée à causer, celle-ci eut un soubresaut ; ses deux mains se portèrent en avant comme par un mouvement instinctif et elle me dit : Oh ! monsieur, vous m’avez fait peur, tenez ! j’en ai les mains toutes mouillées. Tout en m’excusant, je me félicitais d’avoir observé ce fait que je considère comme une exagération du fait observé sur moi-même. Chez cette dame, il s’agit, il est vrai, d’une émotion véritable, d’une excitation cérébrale beaucoup plus considérable que celle qui peut être provoquée par une simple image mentale évocable à loisir et ne troublant point la tranquillité, comme dans mon cas. Aussi cette excitation a-t-elle été suivie d’un effet « libéro-moteur » intense. Une partie du courant nerveux centrifuge consécutif a produit des mouvements de diverses parties du corps, et la portion inutilisée par les muscles a produit un effet thermique, je suppose, d’où la sueur palmaire que seule j’ai observée sur moi-même à la suite d’une excitation minime.

Un cas plus semblable au mien est celui de M. Pierre B…, étudiant en médecine. Ayant demandé à ce jeune homme, qui est robuste et d’apparence très calme, s’il lui arrivait d’avoir un peu de transpiration sur la face palmaire des mains en songeant à quelque situation un peu périlleuse, par exemple au passage d’une fenêtre à une autre sur le bord d’un toit : « Certes ! me répondit-il, cela m’arrive très souvent et vient de m’arriver à l’instant même pendant que vous me parliez. » Il ne s’agit pas non plus ici d’une émotion, évidemment, car M. B… ne pouvait être ému par l’image passagère que je venais d’évoquer dans son esprit d’un façon aussi rapide, image assurément fort indifférente en