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STRICKER.de la parole et des sons intérieurs

testable ; mais qu’il ait aussi été maître en fait d’observations psychologiques est chose toute nouvelle pour moi. L’histoire des sciences ne nous fournit pas la moindre preuve en faveur de cette assertion. Il n’était pas dépourvu de philosophie, c’était un spirituel critique, et si le succès de ses critiques avait répondu à l’ardeur avec laquelle elle était maniée, Henle aurait été le réformateur du siècle en médecine. Avec quelle ténacité, avec quelle ardeur n’a-t-il pas combattu quelques-unes des théories de Virchow, qui pourtant se sont maintenues, tandis que les critiques de Henle sont tombées dans l’oubli. Je ne cite que cet exemple, parce qu’il suffit à mon but ; mais je pourrais, par toute une série de questions, prouver que la critique de Henle — qu’on a aussi appelée rationnelle — a été entièrement désavouée par le progrès des méthodes. Si donc ce grand maître s’est vu exposé à l’erreur dans son opposition aux innovations entreprises sur son propre terrain, où on le voyait dominer avec tant de supériorité, comment ne l’aurait-il pas été dans ses observations psychologiques, domaine qui lui était étranger ? Mais s’il n’est pas une autorité en psychologie, il peut nous être bien indifférent de savoir ce qu’il entendait par le mot « abstraites ». Pour la même raison, j’aurais dû, si j’avais discuté avec lui certaines questions de géographie, me préoccuper de ce que le maître en anatomie entendait par le mot « grand’route », et cependant ce mot est loin de jouer en géographie l’important role qu’on attribue en psychologie au mot « abstrait ».

Les auteurs qui se servent de cette expression, quand il s’agit de questions psychologiques, nous engagent par là même à admettre qu’ils connaissent la signification qu’on lui reconnaît en effet en psychologie. Quant au professeur Stumpf, on peut d’autant plus admettre qu’il la connaît, qu’il est au fait de mes écrits psychologiques, où je me suis à différentes reprises expliqué sur la nature de ce mot. Ce que j’ai à dire sur ce point se rattache à Berkeley, et je n’ai à ajouter que peu de chose à ce qu’il a dit. Il a critiqué l’abstraction par la négation ; moi, au contraire, j’y ai ajouté un corollaire. Berkeley a dit : « Qu’est-ce qu’un triangle qui n’est ni droit, ni obtus, ni aigu, ni équilatéral, ni isocèle, ni scalène, mais tout cela et rien de tout cela ? » J’ai ajouté que j’adhérais entièrement à ce que dit Berkeley ; nous ne pouvons nous représenter un triangle qui ait tous ces caractères et aucun d’eux. Nous nous représentons bien le mot, et à ce mot se rattachent à l’envi toutes les représentations que je puis avoir du triangle. Il est, soit dit en passant, bien bizarre que Berkeley ait critiqué de cette manière les idées de John Locke, qui avait plutôt répondu in merito à la question posée par Berkeley,