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société de psychologie physiologique

que la face palmaire de mes mains se mouillait de sueur. Ce fait m’étonna parce que j’ai habituellement les mains sèches, et que je n’étais nullement effrayé de la situation que je m’étais représentée sans savoir pourquoi. J’ai déterminé depuis la reproduction du même phénomène un grand nombre de fois, en me plaçant dans la même situation d’esprit. Je puis le faire à volonté pour peu que je puisse songer tranquillement à cette situation ou à une autre analogue.

Deux ou trois fois, j’ai eu cette transpiration palmaire en racontant mon cas à diverses personnes, parce que dans le courant de ma narration, l’image de la situation périlleuse dont j’ai parlé se reproduisait avec une vivacité suffisante. Le phénomène vient de se produire pendant que j’écrivais les lignes qui précèdent, ce qui prouvera bien, je pense, qu’il n’est pas imputable à une émotion.

Il s’est produit maintes fois, d’ailleurs, alors que la situation périlleuse représentée dans mon esprit était non seulement purement imaginaire mais ne m’intéressait en rien personnellement — par exemple en regardant un aéronaute qui se suspendait à un trapèze attaché sous sa nacelle pendant l’ascension de son ballon — ou en regardant un couvreur qui marchait sur le bord d’un toit, et encore en écrivant les lignes ci-dessus. Je le répète, cette transpiration palmaire est, pour moi, un état tout à fait anormal, et je puis la produire à volonté alors que mes mains sont parfaitement sèches, à la condition que celles-ci ne soient point froides et à la condition que je pense à de certaines choses d’une certaine façon.

Je distinguerais à ce propos deux modes de pensée différents : la pensée abstraite et la pensée concrète ; la première consistant en idées « pures », la seconde en images. Le premier mode est plutôt celui du raisonnement ; le second est plutôt celui de la narration et surtout du rêve. Peut-être n’y a-t-il pas de ligne de démarcation bien nette entre ces deux modes de pensée, mais je crois les distinguer l’un de l’autre en comparant les cas où je réussis à produire le phénomène que je viens de rapporter aux cas où je ne réussis point.

Quant à l’interprétation du phénomène lui-même, il ne me paraît pas douteux qu’elle doive être rattachée à celle des mouvements d’expression immédiatement et inconsciemment consécutifs aux images mentales. Ces mouvements résultent d’une réaction centrifuge des centres nerveux supérieurs sur différentes parties du corps et sont associés d’une façon si intime à certains états d’esprit qu’ils en constituent de véritables signes extérieurs. Mais la réaction des centres nerveux peut être la cause de bien d’autres sortes de modifications organiques dont beaucoup, tels que les mouvements fibrillaires, commencent à peine à être aperçues, et dont beaucoup d’autres, certainement, sont encore absolument inconnues. Il n’est pas téméraire de soupçonner que toute modification cérébrale retentit plus ou moins, d’une façon ou d’une autre, sur quelque partie du reste du corps.