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pression très accentués peuvent se produire indépendamment de toute conviction même superficielle. Ces mouvements se produisent à la façon de réflexes tout à fait inconscients et consécutivement à la formation ou au réveil d’une image mentale suffisamment vive.

De tels mouvements réflexes sont associés intimement aux images mentales comme aux impressions vives. Or, on sait qu’un mot suffit souvent pour produire ces images et ces impressions, non seulement chez celui qui écoute, mais encore chez celui qui parle. Les mouvements réflexes consécutifs se produisent déjà, et peut-être plus facilement, dès le premier âge. Les enfants qui commencent à parler accompagnent toujours leurs narrations de jeux de physionomie. Il y a des personnes qui ne peuvent parler d’un objet agréable ou répugnant sans que leur physionomie revête des expressions appropriées. Les peuples méridionaux de l’Europe semblent être particulièrement dans ce cas. Il me semble que certaines personnes se représentent mentalement d’une façon très vive les choses dont elles parlent, d’où une tendance plus forte au geste. Cette tendance est peut-être diminuée par l’habitude de parler sur des sujets peu émotifs, sur des questions scientifiques par exemple. Elle est également atténuee par l’éducation. Il y a beaucoup de personnes qui, lorsqu’elles sont seules, se laissent facilement absorber par leurs pensées. Des images mentales vives se forment alors, comme dans le rêve, et se traduisent par des mouvements d’expression plus ou moins accentués. C’est ainsi que l’on voit des promeneurs solitaires faire des grimaces, parler, brandir leur canne, menacer des ennemis imaginaires comme s’ils avaient sous les yeux les objets auxquels ils pensent. Ils ne croient certainement pas, même superficiellement, à la présence de ces objets, mais ils exécutent des mouvements inconscients associés à des images mentales qu’ils se sont suggérées à eux-mêmes.

En résumé, toute image mentale tend à produire un courant nerveux centrifuge associé, un courant moteur, indépendamment de la croyance à la réalité objective de la chose imaginée.

Ce courant moteur peut se produire inconsciemment, par exemple dans le cas où l’on se surprend soi-même à faire un geste en rapport avec une pensée ; il peut être supprimé par l’attention ; il peut se produire consciemment, par exemple quand un narrateur se sert de ses mouvements d’expression et les calcule même, dans le but d’émouvoir ou de convaincre ses auditeurs.

Le fait que je vais rapporter et que j’ai observé sur moi-même est peut-être plus difficile à interpréter que les précédents, bien qu’il s’agisse également d’un phénomène réflexe immédiatement consécutif à une image mentale. Songeant, un soir, sur un balcon de sixième étage, je vins à penser au parti que j’aurais à prendre pour fuir si le feu prenait à l’escalier de la maison. Je jugeai qu’il n’y avait d’autre moyen que d’atteindre le balcon de la maison voisine, et je me représentai les mouvements assez périlleux nécessaires pour cela. Ce faisant, je sentis