Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
revue philosophique

il est fondé. Cette méthode constitue, à vrai dire, sa philosophie et lui donne un avantage signalé sur tous ses modernes prédécesseurs. Le principe logique qui fonde la pensée sur la différence au lieu de faire appel à l’identité, le dieu de l’idolâtrie logicienne, est tiré du cœur même des choses, de la nature de l’esprit qui prend conscience de lui-même. Un principe puisé à une telle source se vérifiera, à n’en pas douter, dans une variété infinie de directions. C’est parce que le principe de la méthode hégélienne est dérivé directement de la conscience réfléchie (self-consciousness) que les résultats obtenus par Hegel sont incomparablement plus riches que ceux qui ont été obtenus par Kant. Les principes de Reid et de Kant paraissent suspendus en l’air ; ceux de Hegel se groupent autour du principe central dont ils tirent leur existence.

On comprend souvent fort mal l’idéalisme sous toutes ses formes ; on le soupçonne de vouloir enlever à l’objet sa substance pour en enrichir le sujet ; on accuse en particulier l’idéalisme absolu d’en détruire la réalité en lui enlevant sa solidité et en le réduisant à une danse des idées ou des relations de la pensée. Telle ne saurait être l’intention d’aucun homme sérieux. L’idéalisme absolu ne supprime ni la réalité de l’objet ni celle du sujet : il soutient uniquement que le réel est, en dernière analyse, rationnel, c’est-à-dire que ses différents éléments constituent un système dans lequel, et dans lequel seul, ils peuvent être compris. Hegel toutefois a donné prise à ces accusations en nous demandant, pour ainsi dire, de croire que l’enchaînement des déterminations-pensées développées dans la logique est réellement la vie du monde, comme si la réalité de Dieu, de l’homme et des choses consistait dans de telles abstractions !

Pour atteindre une conclusion vraie, il faut nous placer à ce point de vue que le réel ou ce qui existe véritablement (actually), c’est l’individu. L’univers peut être regardé lui-même comme un vaste individu. Or le propre de l’individu c’est de ne pouvoir être épuisé par ses qualités ou ses prédicats : cela est vrai surtout de l’univers. La connaissance que nous en avons est vraie, mais nous ne pouvons le connaître complètement et d’une manière adéquate. L’unité dernière des choses est ce que nous cherchons, ce que nous devinons, mais ce que nous n’atteignons jamais complètement (p. 215) : c’est le terminus ad quem qui n’est jamais si complètement en notre pouvoir que nous puissions en faire le terminus a quo.

Nous avons indiqué rapidement quelques-unes des idées exposées dans ce livre, en laissant à peu près de côté toute critique. Tous ceux qui s’intéressent aux questions métaphysiques, y trouveront des appréciations curieuses fort clairement exprimées sur la philosophie écossaise, sur les philosophies qui font appel à la foi ou à la croyance, sur l’alliance de l’hégélianisme et des doctrines de Reid. On comprend que M. Seth ait parlé favorablement de Hegel dont beaucoup de métaphysiciens disent aujourd’hui trop de mal ; on eût souhaité qu’il se montrât plus juste pour Hume.

F. Picavet.