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ANALYSES.seth. Scottish philosophy..

conservent son criticisme négatif. Kant est ainsi la source première de l’agnosticisme très éclairé de nos contemporains, et les arguments de Hamilton sont au premier plan dans les Premiers Principes de Spencer. On peut donc dire que Hamilton et Mansel se sont écartés de la doctrine écossaise, telle qu’elle a été comprise avant et après eux. Reid n’aime pas les arguments qui ont pour but d’exalter la révélation aux dépens de la raison, car on peut les employer tout aussi bien contre la religion. Sans doute, on peut trouver chez Reid lui-même et surtout chez Dugald Stewart des textes qui, examinés à part, les feraient considérer comme des relativistes (p. 180 à 182), mais ce ne sont que des passages isolés. L’école a protesté d’ailleurs, aussitôt qu’elle a vu la doctrine de la relativité mise en lumière par Hamilton et Mansel. Mansel lui-même s’est écarté, pour le moi, de la doctrine soutenue par Kant et Hamilton, qui en font l’objet d’une connaissance purement phénoménale. La vraie tradition de l’école a été conservée par Calderwood, Flint, M’Cosh, qui tous ont réagi contre le relativisme.

Les Écossais s’accordent donc avec Hegel pour répudier le phénoménisme et le relativisme. Mais doivent-ils être appelés comme lui des absolutistes ? Il faut remarquer d’abord que l’absolu, combattu par Hamilton, n’est nullement celui dont Hegel a affirmé l’existence. L’absolu de Hegel est l’intelligence, que Hamilton, à cause de la différenciation intime qui est en elle, déclare incapable de percevoir son absolu abstrait. Hamilton n’a donc fait, comme dans bien d’autres cas, que confondre les questions. L’absolutisme est la vraie doctrine (p. 190), si l’on entend par là que notre connaissance est, aussi loin qu’elle s’étend, la connaissance d’une chose réelle. Après avoir écarté le spectre de la relativité, il ne reste qu’à appliquer la notion d’absolu au système. Un système absolu est celui qui prétend démontrer la rationalité de l’existence. Le seul moyen de donner une telle démonstration, c’est d’embrasser tous les éléments de l’existence dans une synthèse finale, de marquer à chacun sa place dans le système, de montrer leur relation avec le tout. Mais possédons-nous un tel système ?

Que nous soyons repoussés par les synthèses prématurées et par la présomptueuse confiance de quelques faiseurs de systèmes, on le comprend ; mais désespérer des systèmes, c’est désespérer de la philosophie, qui n’est pas autre chose. Les premiers représentants de l’école écossaise s’accordent pour le fond et dans le domaine où portent leurs affirmations avec Kant et avec Hegel ; mais ils n’ont pas donné au sujet la forme qui lui convient ; ils n’ont pas enchaîné leurs principes les uns avec les autres, ils les laissent, semble-t-il, suspendus en l’air, comme des intuitions isolées, au lieu de les constituer en système. Hegel nous offre une méthode qui prétend garantir tout à la fois l’enchaînement de toutes les conceptions et l’intégrité du système qui en résulte. Sans nier la subtilité et la profondeur du métaphysicien, on peut se demander ce que valent la prétention d’offrir un système complet (the claim to completeness) et la méthode dialectique sur laquelle