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la métaphysique, de ne pas le confondre avec l’acatalepsie. Berkeley remarquait avec raison, dans les dialogues d’Hylas et de Philonoüs, que celui qui nie l’existence de la matière ne saurait être appelé sceptique, puisqu’il n’a aucun doute. Reid a eu à cet égard une influence déplorable, et il est regrettable que M. Seth le suive dans cette voie. On peut n’être pas de l’avis de Hume sur la métaphysique ; il nous semble que personne n’a ni le droit de le juger aussi sommairement ni celui de lui imposer une doctrine qui n’est pas la sienne en lui appliquant un nom devenu injurieux et équivoque.

Nous ne dirons rien du chapitre consacré à l’exposition de la théorie sur la sensation et la perception, substituée par Reid aux théories qu’il juge ou entachées de scepticisme ou complètement sceptiques ; car, depuis Royer-Collard, Cousin, Jouffroy et Garnier, elle est bien connue en France. Le chapitre où sont comparés Reid et Kant est plus original ; la conclusion mérite d’être citée : « Nous ne devons pas hésiter, dit l’auteur (p. 143), à proclamer que nous sommes tous des expérimentalistes, des évolutionnistes… Si nous prouvons que la sensation pure est une abstraction impossible in natura rerum, l’expérientalisme est du même coup dépouillé de tout ce qu’on lui suppose d’effroyable. Et c’est là ce qu’ont prouvé Kant et Reid… Reid a distingué la perception et la sensation ; il a nié qu’il fût possible de faire sortir l’une de l’autre ; il a indiqué au moins quelques-uns des principes impliqués par la première… Kant a démontré que la constitution essentielle des objets suppose l’espace, le temps et les catégories que la sensation en tant que sensation ne peut donner… Ils se séparent sur la question de la réalité de notre connaissance : pour parler comme Hamilton, Reid est un réaliste naturel qui croit à la connaissance immédiate du monde extérieur… Kant est un représentationiste… Il a donné à la théorie une dernière forme qui se dissout au contact de la critique. »

Le monde de Kant est, en effet, aussi peu que celui de Hume, le monde réel que nous cherchons ; Hume et Kant nous laissent agnostiques. C’est ainsi que Lange, suivi par beaucoup de néo-kantiens allemands, a pu dire que l’œuvre capitale de la critique a été de donner le dernier coup aux chimères de la métaphysique, en fixant les limites de notre nécessaire ignorance. Sans aller aussi loin, Hamilton nous montre un mélange d’éléments kantiens et écossais. Il n’y a pas fusion réelle de ces éléments divers et il n’y a pas à s’en étonner, si l’on considère l’incompatibilité des deux doctrines. Tout essai pour greffer la relativité agnostique de la Critique sur le réalisme naturel de la philosophie écossaise est contraire au génie de cette dernière. Hamilton veut que la philosophie, là où elle finit, fasse place à la théologie ; Mansel dit que, par l’impuissance de la raison, nous sommes poussés à chercher un refuge dans la foi. D’autres philosophes passent des mêmes prémisses à une conclusion tout autre : après avoir abaissé la raison, ce n’est pas à la foi théologique, mais à un complet agnosticisme qu’ils font appel. Ils abandonnent les déductions kantiennes de la raison pratique, et