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ANALYSES.a. bellaigue. La science morale.

encore que, par des jugements, j’aie compris les idées de cette ressemblance et de cette coexistence. Cela montre bien que le raisonnement ne consiste pas uniquement dans l’association des termes si compliquée qu’elle puisse être.

M. Binet lui-même a bien souvent senti cette grande difficulté : ici, il reconnaît l’immense supériorité du raisonnement conscient sur ce qu’il appelle le raisonnement inconscient[1] ; là, il avoue qu’une association ne suffit pas pour faire un raisonnement, que tout dépend de l’attitude de l’esprit, de l’attitude du moi[2]. Le mot n’est pas bien clair, mais il signifie sans doute que l’esprit dans le raisonnement attache plus d’importance à la relation entre les termes qu’aux termes eux-mêmes. Si l’auteur n’insiste pas, c’est que sans doute il n’a voulu faire qu’une analyse des conditions dans lesquelles le raisonnement peut apparaître ; il ferait certainement une œuvre bien intéressante si, avec les mêmes méthodes et la même précision, il étudiait un fait qu’il a un peu négligé, celui du jugement[3].

Pierre Janet.

A. Bellaigue.La science morale, étude philosophique et sociale, in-8o. Plon, 1885.

Nous traversons, dit M. Bellaigue, une crise décisive moins violente en la forme, mais aussi redoutable au fond que celle qui a ébranlé la fin du siècle dernier. Les masses populaires ne sont plus dominées par l’autorité politique ou religieuse, elles se perdront nécessairement si, dans l’aveuglement de leur ignorance ou dans l’entraînement de leurs passions, elles se heurtent à des lois inconnues de l’ordre moral ou économique qui, comme toutes les lois naturelles, brisent tout ce qui tente de leur résister.

Connaître la loi morale, s’efforcer de s’y accommoder, au lieu de se révolter contre elle, tel est le seul but raisonnable de l’homme. Mais

  1. P. 148.
  2. P. 157-139.
  3. Nous avons reçu de M. Stricker la lettre suivante : « Il est dit dans l’ouvrage de M. Binet, La psychologie du raisonnement (p. 301), que d’après mon opinion on ne peut pas penser à la lettre B qui est une labiale en tenant la bouche ouverte, position qui supprime le mouvement des lèvres. » Dans mon ouvrage : Du langage et de la musique (trad. fr., p. 15), je dis au contraire : « Si je pense à B, P, M, en ouvrant la bouche, le sentiment initial se fait sentir dans les deux lèvres en haut et en bas ». Je vous serais reconnaissant de vouloir bien insérer cette rectification dans la Revue philosophique en ajoutant qu’elle n’implique aucun reproche à l’égard de M. Binet. Mais il arrive souvent que les monographies ne sont pas lues avec assez de soin, et parmi les nombreuses citations inexactes qui ont été faites de mon écrit : Du langage, etc., j’ai choisi l’une de celles qui se laissent le plus facilement rectifier. (Note de la Direction.)
    « Stricker. »