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les sensations, pensées ou émotions tendent à raviver celles qui leur ressemblent parmi les impressions ou états antérieurs. » Puis la loi de fusion par laquelle l’auteur veut avec raison compléter la loi précédente : « Lorsque deux états de conscience semblables se présentent à notre esprit simultanément ou dans une succession immédiate, ils se fondent ensemble et ne forment qu’un seul état. » La démonstration de cette loi nouvelle et, à ce propos, la discussion des expériences de Weber sur la délicatesse du toucher, forment, si je ne me trompe, une des parties les plus intéressantes et les plus durables de l’ouvrage. Ce chapitre est terminé par une hypothèse assez vraisemblable sur la raison physiologique de cette association mentale. L’action d’un élément nerveux unique peut expliquer comment une ressemblance entre deux idées est efficace alors même qu’elle n’est pas reconnue par l’esprit. D’ailleurs, il en est toujours ainsi, car la ressemblance ne peut être perçue par l’esprit que lorsque les deux idées sont présentes, lorsque en un mot l’association est déjà faite. On s’explique mal comment après ces remarques fort justes l’auteur persiste encore à confondre l’association et le jugement.

Ainsi étendues, les lois de l’association nous permettent d’expliquer le mécanisme de la perception extérieure. Dans les hallucinations hypnagogiques, dans certain délire, nous voyons nettement les images se joindre à la sensation réelle : il en est de même dans toute perception normale. À la simple vue d’un livre, je pense à son poids, à sa résistance, à son contenu. Cette association se fait par l’intermédiaire d’une ancienne sensation visuelle ressemblant à celle-ci et qui a été associée autrefois à des sensations musculaires et tactiles. « L’aspect actuel du livre ressemble en partie ou en totalité à l’aspect antérieur de ce livre dont le souvenir persiste dans mon esprit ; l’apparence qui s’offre actuellement à ma vue fusionne avec ce souvenir visuel qui, à son tour, amène dans le champ de la conscience le cortège des souvenirs tactiles ou musculaires auxquels il est lié. » A, vision actuelle, fusionne avec B, vision passée, et par son intermédiaire est associé à C, l’ensemble des autres souvenirs. L’opération se décompose ainsi : une association par ressemblance qui a pour but d’introduire une association par contiguïté.

M. Binet n’hésite pas à généraliser cette théorie de la perception extérieure : il retrouve les mêmes procédés dans d’autres opérations en apparence très différentes et plus compliquées, en particulier dans le raisonnement. On peut en effet relier la perception au raisonnement par une série d’intermédiaires : « La perception se confond d’un côté avec les actes les plus élémentaires et les plus automatiques, et de l’autre elle confine au raisonnement conscient formé de trois propositions verbales : « Quand nous reconnaissons à la simple inspection d’une feuille qu’une plante est de la saponaire ou du lilas, quand nous arrivons à comprendre une écriture, il y a dans notre esprit non pas sans doute un raisonnement en forme, mais tous les éléments d’un véritable