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ANALYSES.a. binet. Psychologie du raisonnement.

chaque image est une sensation spontanément renaissante et en général plus simple et plus faible que la sensation primitive, mais capable d’acquérir dans des conditions données une intensité bien plus grande. Il y a autant d’espèces d’images que d’espèces de sensations, et chaque personne, suivant ses habitudes et la nature de son organisme, se sert plus particulièrement de telle ou telle sorte d’images. C’est là ce qui donne naissance aux différents types sensoriels étudiés par M. Charcot, les indifférents, les visuels, les auditifs, les moteurs. M. Binet, dans les recherches qu’il a faites avec M. Féré sur des individus hypnotisés, a réussi à montrer que l’image ou plutôt le processus nerveux correspondant a un siège fixe dans le cerveau et que ce siège est le même pour l’image et pour la sensation. Il faut étudier dans l’ouvrage même tous les détails que donne M. Binet sur la nature des images et qui serviront à faire plus tard une théorie complète de cet important phénomène. M. Binet étudie ensuite les propriétés des images qui sont associées à des sensations. Ce phénomène très délicat et peu visible à l’état normal peut être considérablement agrandi par la suggestion hypnotique. Les lecteurs de la Revue connaissent les expériences célèbres du portrait, du miroir, du prisme, de la lorgnette qui nous montrent l’hallucination hypnotique comme soudée à une sensation réelle et se modifiant avec elle.

Quel est ce lien qui unit ainsi la sensation à l’image et fait du tout une sorte de synthèse ? L’auteur remarque avec raison qu’il y a là un travail de l’esprit plus ou moins compliqué suivant les circonstances. Tantôt à la sensation visuelle on associe quelques images très simples du toucher ou du sens musculaire, tantôt à la sensation primitive on joint une foule de souvenirs compliqués qui permettent de reconnaître l’objet ou la personne. Ce n’est d’abord qu’une reconnaissance générique de l’objet extérieur, puis c’est une reconnaissance particulière de tel ou tel objet déterminé. M. Binet illustre ces remarques par un exemple très frappant emprunté à l’anesthésie systématisée des somnambules. Un sujet à qui on a défendu de voir une personne ne recouvre que peu à peu d’abord la vision, puis la reconnaissance de cette personne. Je pourrais signaler à M. Binet un exemple du même genre que j’ai pu observer moi-même. Si je défendais à un sujet de voir une personne, ma suggestion ne réussissait pas entièrement : il continuait à voir la personne, mais ne la reconnaissait plus. La reconnaissance individuelle étant plus compliquée et postérieure était plus facilement détruite que la vision générique. Mais sur la nature même du lien qui unit la sensation à l’image M. Binet passe, à mon avis, beaucoup trop vite. Ce lien, dit-il, qu’il soit conscient ou non, est toujours un jugement, puis citant à ce sujet un mot de M. Paulhan au moins discutable : « tout jugement se réduit à une association d’images momentanément indissoluble », l’auteur nous renvoie aux philosophes anglais pour une démonstration plus complète.

Il est heureusement plus complet lorsqu’il étudie les lois qui règlent cette synthèse. C’est d’abord la loi de la ressemblance : « Les actions,