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NOEL.l’idée de nombre et ses conditions

soit exclue toute connotation indirecte des rapports spatiaux.

Il est de toute évidence que nous ne pouvons disperser et réunir les éléments d’une suite de sons comme un sergent disperse et réunit les hommes qu’il commande. Nous supposons que le contenu de l’âme est uniquement composé d’événements successifs. Or, le caractère général de pareils événements, c’est de ne pouvoir être séparés de leur place dans le temps, de faire pour ainsi dire corps avec elle. Un son n’est pas entendu deux fois. À la rigueur il ne se répète pas ; un son répété n’est autre chose qu’un son spécifiquement identique à un autre son. Dès lors, quand je dis que je puis intervertir l’ordre dans lequel certains sons ont été entendus ou imaginés, je veux dire seulement que je puis imaginer une série de sons dont les termes successifs, spécifiquement identiques à ceux de la première, affectent un ordre différent. Une semblable interversion diffère du tout au tout d’une transposition dans l’espace où les termes transposés demeurent numériquement identiques.

S’il en est ainsi, pour que les termes d’une suite de sons puissent être intervertis, il faut qu’ils diffèrent qualitativement. Une série de sons identiques ne saurait se prêter à cette opération. Je puis l’imaginer répétée, mais je ne puis imaginer un changement dans l’ordre de ses termes. Ce qui dans le cas général permet de dire que cet ordre est changé c’est que, dans la série reproduite, les termes qui sont de même nature que dans la proposée diffèrent par le rang ou inversement. Quand de part et d’autre ces termes ont la même nature, un terme de rang quelconque dans la seconde série ne diffère par rien du terme de même rang de la première, et la seconde série reproduit simplement la première sans aucune altération.

Mais si la transposition des termes n’est concevable que pour des séries d’événements hétérogènes, elle ne saurait conduire à la conception du nombre. La série transposée n’est plus du tout identique à la série primitive, et la transposition ne manifeste nullement l’indifférence de l’ordre où les termes sont donnés. Sans doute, entre la série proposée et la série transformée, il y a certaines ressemblances persistantes ; mais ces ressemblances tiennent d’une part à la nature des termes, de l’autre à l’analogie de leur ordre sériel. Nous ne sortons en aucune manière du cercle où nous sommes enfermés. L’ordre et la qualité restent les seuls fondements concevables de la ressemblance comme de la différence.

Ainsi les expériences de succession ne suffisent point à expliquer l’idée de nombre. Cette idée ne peut être immédiatement abstraite de la représentation des séries ni résulter de leur comparaison. Concluons qu’elle requiert l’intuition de l’espace, que seuls les objets jux-