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n’est plus directement obtenue par ce procédé élémentaire ; l’art de la numération, en nous apprenant à traiter comme les unités des groupes numériques de plus en plus considérables, vient simplifier la besogne. Des nombres qui, sans son secours, confondraient la pensée, nous deviennent aisément concevables. Nous ne nous attarderons pas à décrire après tant d’autres cet ingénieux artifice. Il n’est d’ailleurs qu’une simplification du procédé fondamental de la formation des nombres, et ce procédé fondamental est l’addition. Tout nombre, quel qu’il soit, est le résultat d’une addition possible et se définit par elle. L’idée d’addition est inséparable de celle de nombre.

S’il en est ainsi, l’idée de nombre présuppose la succession et le temps. Toute addition comprend au moins deux moments distincts, l’un où les unités sont données, l’autre où elles sont réunies. Les unités du nombre existent par elles-mêmes, indépendamment du nombre. C’est là le caractère essentiel de ces synthèses que nous nommons collections. Les éléments doivent être conçus d’abord avant que leur réunion devienne concevable. Sans doute les éléments du nombre peuvent être, en fait, simultanément donnés à la conscience. Mais on aurait tort de croire que leur nombre est donné avec eux. Le nombre n’est à aucun titre objet d’intuition. Pour qu’il soit connu de nous, il faut que nous l’ayons compté. L’intuition simultanée du groupe doit d’abord être analysée. L’intelligence détruit le Tout donné, quitte à le reconstituer ensuite. Les diverses unités apparaissent tour à tour dans leur indépendance et c’est seulement quand notre attention, s’appliquant à chacune d’elles en particulier, aura épuisé le contenu primitif de l’intuition que commencera le processus inverse et que la synthèse succédera à l’analyse. Alors reprenant une à une, pour les grouper de nouveau ensemble, les unités isolées, nous reconstruirons mentalement la totalité que nous avions d’abord détruite. Alors seulement cette totalité nous apparaîtra comme nombre, parce qu’alors seulement nous pourrons la considérer comme le résultat d’une synthèse additive ou, en d’autres termes, parce que nous aurons pris connaissance de l’indépendance réciproque de ces parties.

Personne ne contestera qu’il en soit ainsi pour les grands nombres. Il suffit d’un peu de réflexion pour prendre conscience de l’opération décrite. Quand nous sommes brusquement placés en face d’une multiplicité confuse d’objets, il est de toute évidence que nous n’apercevons pas d’abord le nombre qu’ils forment et que, pour le connaître, il nous faut recourir à un double travail d’analyse et de synthèse. Sans doute, si nous ne voyons pas tout de suite à quel nombre nous avons affaire, au moins savons-nous qu’il y a devant