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science ne sait rien et ce n’est que tardivement qu’elle se révèle à l’analyse du psychologue.

Une comparaison rendra la chose plus sensible. Vous habitez une rue fréquentée. Dans la foule qui passe journellement sous vos fenêtres figurent fréquemment certains groupes de personnes, par exemple certaines familles. Il est clair que ce fait ne s’imposera pas de lui-même à votre perception. Pour vous en rendre compte il vous faudra remarquer d’abord les figures des individus, les particularités de leurs costumes, le fait qu’ils marchent habituellement ensemble ou d’autres indices de cette sorte.

Il en est évidemment de même de mes sensations. Pour que je reconnaisse les groupements auxquels l’association donne naissance, il faut avant tout que je sache distinguer ces sensations les unes des autres et les grouper en totalités synthétiques. Par suite, l’association n’explique point ces formes primitives de l’activité mentale. Ce n’est pas elle qui les crée ; elle se borne à en régler l’emploi. Je possède primitivement, antérieurement à toute expérience, la faculté de répartir mes sensations en groupes distincts, de découper des figures définies dans la trame continue qui se déroule sous le regard de ma conscience ; mais, tant que cette faculté s’exerce d’une façon arbitraire, ces figures sont inconsistantes et n’apparaissent que pour s’évanouir aussitôt. Alors l’expérience intervient pour endiguer en quelque sorte le cours de notre activité aperceptive. Si certaines sensations se trouvent en fait toujours présentes ensemble tandis que certaines autres ne le sont que rarement, le groupement des premières sera toujours possible, celui des secondes ne le sera presque jamais. Notre faculté de groupement aperceptif, s’exerçant plus fréquemment sur les premières, contractera certaines habitudes et il nous deviendra plus facile de former certaines représentations que certaines autres. Ainsi s’explique la formation de représentations déterminées et stables. C’est bien, en un certain sens, l’expérience qui leur donne naissance, mais non sans le concours de la faculté aperceptive. L’expérience explique pourquoi nous formons telle ou telle synthèse, mais non, d’une manière générale, pourquoi nous formons des synthèses. Cette forme synthétique par laquelle nous érigeons nos sensations en représentations, c’est de nous-mêmes que nous la devons tirer. C’est au fond l’expression d’une loi mentale, de la loi qui régit le phénomène de l’attention.

Il est néanmoins deux expériences où l’on a soutenu que l’unité nous est immédiatement donnée : la conscience du moi comme tel et la conscience de la sensation simple. La première opinion, indi-