Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
revue philosophique

deux sons à la fois. Il me faut, pour éviter cette illusion, faire suivre les coups si rapidement qu’il ne reste pas d’intervalle pour un coup étranger.

Celui qui peut se maîtriser et se représenter effectivement un « a » bref, c’est-à-dire ne se représenter que l’impulsion, le sentiment initial non prolongé, n’a plus à se préserver d’aucune illusion ; il trouvera sans peine que la représentation simultanée de l’ « o » est tout à fait impossible. Celui qui n’est pas à même de se maîtriser suffisamment devra se représenter plusieurs « a » se succédant rapidement, et alors il reconnaîtra qu’en se représentant « o » la chaîne des « a » se brise.

Je suis naturellement bien loin de vouloir appuyer une théorie sur d’aussi délicats détails, mais je crois devoir, vis-à-vis d’attaques qui s’appuient de pareilles subtilités, montrer qu’ils peuvent reposer sur des erreurs, et que ces dernières ne suffisent pas à renverser une théorie bien fondée. Au reste, je regarde comme un progrès que M. Paulhan, après avoir essayé de se représenter simultanément « a » et « o », reconnaisse maintenant que la représentation de l’ « a » est motrice, « étant fortement empreinte du caractère moteur ».

V. Contre M. Stumpf.

Comme je l’ai remarqué en commençant, j’ai avancé, mutatis mutandis, la même théorie pour les représentations des sons musicaux que pour celles du langage. Quand j’entends une mélodie j’y rattache des innervations musculaires qui, chez beaucoup d’individus, ont leur siège au larynx. À cet égard, on est donc en droit de parler d’un chant intérieur. Quand, plus tard, je me souviens de la mélodie entendue, il est possible qu’en même temps les images auditives s’éveillent aussi en moi ; mais il peut arriver que ces dernières aient disparu et qu’il ne me reste dans la mémoire que la mélodie chantée tout bas, c’est-à-dire les images motrices.

C’est le cas, autant que j’ai pu le constater dans la société que je fréquente, pour tous ceux qui ne jouent d’aucun instrument et sont cependant capables de se représenter une mélodie ; c’est de même le cas, abstraction faite de faibles divergences, pour les trois compositeurs que j’ai pu jusqu’à présent consulter et observer. De faibles divergences, en tant qu’il y en a qui innervent les lèvres au lieu d’innerver le larynx et qui éveillent la mélodie (sit venia verbo) par un sifflement intérieur plutôt que par un chant intérieur, et que, d’autre part, chez ceux qui sont particulièrement bien doués du