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soit certains caractères des unités qui le composent. Les caractères à éliminer, qualités ou relations, diffèrent d’une unité à l’autre. Il faut qu’une pluralité d’abstractions, indépendantes les unes des autres, concourent à donner un résidu final d’une nature particulière. On n’a donc pas expliqué la formation du concept de nombre quand on a dit sans plus qu’il est un produit de l’abstraction.

Est-ce à dire que ce concept préexiste dans l’âme à tout rapport avec les objets, qu’il soit à proprement parler une idée innée ? Prise à la lettre, cette théorie est insoutenable et même inconcevable. Le nombre ne peut pas être le nombre de rien. Certes, on peut appliquer ce concept à des objets imaginaires aussi bien qu’à des objets réels ; mais avant l’expérience l’imagination est vide, et c’est précisément l’expérience qui la remplit.

Ce qui préexiste à l’expérience c’est seulement la faculté de nombrer. Encore ne faut-il pas entendre par là une faculté toute développée et prête à fonctionner à la première occasion. C’est plutôt, selon nous, un ensemble d’aptitudes irréductibles qui apparaîtront une à une, puis, confirmées par leur exercice même, et devenues conscientes, concourront à former en nous le concept de la pluralité numérique.

Si le nativisme pur avait raison, la question d’origine ne se poserait même pas, ou plutôt sa solution serait tout entière dans la réfutation de l’empirisme. À notre point de vue, au contraire, cette question s’impose. Le nombre ne nous est pas donné tout fait avec l’intelligence ; c’est nous-mêmes qui le faisons en exerçant nos aptitudes ou dispositions natives. Il nous faut donc rechercher d’une part en quoi consistent précisément ces aptitudes, et d’autre part à quelles conditions elles peuvent s’exercer.

Le nombre est formé d’unités. Il faut donc nous demander d’abord comment nous concevons l’unité. Il est clair qu’il ne s’agit point ici de l’unité métaphysique, de l’unité absolument indivisible, du point mathématique ou de la monade de Leibniz. Pour l’arithméticien un tas de cailloux est une unité au même titre qu’une monade. Dirons-nous avec M. Taine que le caractère essentiel des unités est l’aptitude à entrer dans des collections. Cette définition a au moins l’apparence d’un cercle vicieux. Il semble que l’unité doive être pensée comme telle avant la collection dont elle fait partie. C’est un caractère particulier de ces synthèses que nous appelons nombres ou plus généralement collections que leurs matériaux aient en dehors d’elles une existence indépendante. D’ailleurs, l’unité étant un caractère commun à tous les objets réels ou simplement possibles, le