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L’IDÉE DE NOMBRE ET SES CONDITIONS


Le nombre dont nous allons nous occuper ici est le nombre arithmétique proprement dit ou le nombre entier. La notion ordinaire du nombre a une plus grande extension. Elle comprend en effet les nombres fractionnaires et les incommensurables. Ces deux dernières espèces de nombres dérivent de la mesure des quantités continues. À proprement parler, leur origine est géométrique. Mais, comme la mesure peut, dans certains cas, donner naissance à des nombres entiers, les arithméticiens définissent volontiers le nombre par la mesure, enfermant ainsi dans une même formule toutes les espèces du genre. Cette définition a l’avantage incontestable de la généralité. Néanmoins, au point de vue philosophique, elle a le défaut de dissimuler la véritable origine des concepts. Le concept unique dans lequel elle les enferme tous est le produit d’une généralisation tardive. L’idée de nombre est logiquement et chronologiquement antérieure à celle de mesure ou de rapport. L’homme a compté avant de mesurer et n’a pu songer à mesurer que parce qu’il savait compter. Mesurer, n’est-ce point, en effet, introduire au sein de la quantité continue une discontinuité artificielle et, par cet artifice, rendre nombrable ce qui ne l’est pas de sa nature ?

Le nombre peut se définir une collection d’unités équivalentes. J’entends ici par collection une totalité formée de parties indépendantes, capables d’exister en dehors de la totalité qu’elles constituent, d’y entrer ou d’en sortir sans éprouver aucune altération. Si l’on conçoit ainsi la collection, le nombre en est une. La collection est un genre dont le nombre est une espèce. Cette espèce a sa différence spécifique. C’est l’équivalence absolue de ses unités. Il faut d’abord qu’elles soient homogènes, qu’elles ne se distinguent les unes des autres par aucun caractère intrinsèque. Il faut, en outre, qu’elles n’aient pas dans la collection de places déterminées ou qu’il puisse être fait abstraction de ces déterminations, c’est-à-dire qu’elles puissent changer sans que que la collection soit détruite.