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suggère d’effacer, dès qu’il sera réveillé, ce qui est écrit sur le tableau. C’est ce qu’il s’empresse de faire. Il efface d’abord le dessous, puis, con me il est trop petit, il s’en pare du tabouret professoral, sur lequel il grimpe pour effacer le reste. Pendant qu’il est absorbé dans sa besogne, un étudiant — jeune homme de près de six pieds — lui fait la niche de barbouiller le côté qui vient d’être nettoyé, B s’en aperçoit, descend d’un air furieux qui fait reculer l’étudiant, d’une main lui présente l’éponge, et, de l’autre main, lui désigne le tableau avec un geste impératif admirable d’énergie et de majesté. L’élève obéit ; c’est ce qu’il y avait de mieux à faire ; et au moment où il monte les marches, B lui assène au derrière le plus vigoureux des coups de pieds, et ne le quitte des yeux que lorsqu’il a fait disparaître jusqu’à la dernière trace de son méfait.

J’omets quelques autres expériences qui furent faites ce jour-là devant mon auditoire, mais qui n’offrent rien de neuf. Je mentionne seulement que, dans cette même séance, j’ai appris à B graduellement à s’endormir, par exemple, quand il arrive, en comptant lui-même, au nombre dix, puis au nombre sept, puis au nombre trois ; ensuite au bout d’un certain nombre de coups frappés par moi ; enfin à l’audition du simple mot dormez.

Je le ramène chez moi. Je lui montre M… et comment elle s’endort sur mon ordre, même quand elle est en marche. Je lui dis de faire de même. En effet. Mais il s’endort si bien et si brusquement qu’il tombe comme une masse. Je le réveille et lui montre comment M… garde l’équilibre. Il pousse la docilité jusqu’à se tenir sur un pied, un bras étendu horizontalement et l’autre en l’air.

Pour épuiser ce que j’ai à dire sur la puissance de l’imitation, j’insère ici la relation de ce que, huit jours plus tard, le 17 avril, j’obtenais du même B convoqué chez moi pour d’autres expériences. Comme je l’ai dit, B, en état de somnambulisme, ne parle que d’une manière indistincte. J’avais besoin qu’il me parlât distinctement et sans effort. Je fais venir devant lui J.., qui, elle, s’exprime avec la plus grande netteté et d’une voix bien claire. Dès le premier essai, B parla d’une voix aussi nette et aussi claire.

Je reviens au 10 avril. Il s’agissait d’expérimenter les pouvoirs des magnétiseurs. Les sujets de Nancy ne se laissent réveiller que par celui qui les a magnétisés. Je ne sais pas ce qui en est des sujets de la Salpêtrière. Je crois cependant que le premier venu, ou, sinon, les élèves de M. Charcot ont ce pouvoir. J’ai dit que les sujets de M. Ch… n’obéissaient qu’à leur hypnotiseur. On se rappelle que B, fuyant en moi un voleur, ne se laissa pas éveiller par M. Ch…, mais seulement par moi. Pouvait-on changer ce pli ? Je voulus le voir.