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« a » et « o », il faut les imaginer brefs. S’il arrivait que quelqu’un fût à même de se représenter réellement en même temps « a » et « o » brefs, alors, disais-je, il aura trouvé un argument contre ma théorie. À ma grande surprise ne voilà-t-il pas que M. Paulhan vient déclarer dans sa dernière publication[1] qu’il est en état de le faire, qu’il peut se représenter simultanément et brièvement « a » et « o ». Conséquemment, je reconnais qu’il a effectivement trouvé un argument contre ma théorie.

Nous voyons au reste que dans la science il se passe les mêmes choses que sur le marché. Quelqu’un déclare-t-il avoir l’argent nécessaire à l’achat d’un tableau, chacun trouve naturel qu’il aille à la vente et prenne part à l’enchère. Mais, pour entrer réellement en possession d’un tableau, son assertion ne suffit plus, il faut qu’il exhibe son argent et qu’il soit reconnu valable.

Après que j’eus exposé ma théorie, M. Paulhan m’a contredit. Plus tard, il a reconnu que l’élément moteur que j’attribuais aux représentations du langage était pourtant plus important qu’il ne l’avait cru d’abord. Il va même maintenant jusqu’à dire pouvoir se former une représentation motrice de « a ». Ce n’est que par cet aveu que l’entente a pu se faire entre nous, par le fait que M. Paulhan peut répéter et constater mes observations. Si j’étais venu affirmer au marché que les représentations du langage sont motrices, sans en donner de preuves, et seulement appuyé sur mes observations personnelles, que personne ne pourrait retrouver en lui, on n’aurait certainement accordé aucune attention à mon assertion. Il n’en est pas de même de l’argument de M. Paulhan. Je suis particulièrement exercé aux observations de ce genre et je m’efforce depuis des années en vain de me représenter simultanément les deux voyelles « a » et « o ». En outre, j’ai sur ce point examiné des centaines d’individus, et tous ont décliné unanimement la possibilité d’une représentation double. Si l’on réfléchit que les observations objectives que j’ai fait valoir pour ma théorie suffisent seules à la faire regarder comme absolument positive, serait-il inadmissible de penser que M. Paulhan a de nouveau fait une faute dans son observation ? Il nous a dit d’abord qu’il peut se représenter « a, e, i, o, u, » pendant qu’il prononce « <a ». Puis, après que je lui eus prouvé l’inadmissibilité de son argument, il déclare qu’il lui est difficile de se représenter simultanément les voyelles « a » et « o » : « La représentation courte et simultanée est difficile à obtenir, » et il nous dit qu’il ne l’avait appris qu’après un long exercice. Par conséquent, de son propre

  1. Revue philosophique, janvier 1886.