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STRICKER.de la parole et des sons intérieurs

en est de même de « Roland recula » que pour les mots allemands « Roland Riese » qui n’ont de semblable que l’R. Si je l’avais fait, le choix des mots aurait été autre. Car, quand je concentre mon attention sur ce qui se passe en moi, je remarque qu’au moment où « Roland » se présente dans mon savoir virtuel, je n’y trouve de « recula » que « cu » et parfois « écu ». Mais l’omission que j’ai faite, M. Paulhan aurait dû y suppléer, car tout ce qui suit et tout ce qui précède prouve incontestablement que je n’admets aucunement la possibilité de prononcer en même temps ces deux lettres. M. Paulhan m’a donc spirituellement pris en faute ; mais ma théorie n’en reçoit pas la moindre atteinte. Il en serait autrement si M. Paulhan avait déclaré qu’il peut réellement se représenter deux « a » à la fois. Mais en ne le disant pas, et en se contentant d’avancer que je puis personnellement saisir à la fois ces deux représentations, il me suffira de lui dire que je regarde, moi, comme absolument exclue la représentation simultanée de ces deux lettres.

La question de la possibilité de se représenter en même temps deux sons a, comme je l’ai déjà dit, été objet de controverse. J’ai déclaré impossible de penser en même temps « a » et « o » ou « a » et « u » parce que « a, o, u, » requièrent des dispositions de la bouche qui, en partie, s’effectuent au moyen des mêmes muscles. Mais, je ne puis innerver le même muscle de manière qu’il détermine en même temps la disposition nécessaire pour l’ « a » et celle que l’ « o » exige.

Par contre, M. Paulhan a déclaré qu’il le pouvait ; que, tandis qu’il prononce la voyelle « a » il pouvait se représenter « e, i, o, u, [1] ». J’en ai tout de suite reconnu la possibilité, mais j’ai relevé qu’il y avait ici erreur. Si l’on prolonge suffisamment le son de l’ « a » pour pouvoir se représenter l’une après l’autre les voyelles « e, i, o, u », il ne faut pas oublier que cette extensibilité n’est pas une fonction du centre du langage. Quand on prolonge l’ « a », on innerve d’abord les muscles articulatoires, de manière à faire prendre à la bouche une certaine disposition, et, cela fait, il suffit que le larynx résonne pour avoir le son de l’ « a ». Pendant que cela a lieu, le nerf du faisceau musculaire qui produit la disposition requise pour l’ « a » n’est plus engagé, de sorte qu’il peut coopérer à la représentation de l’ « o », qui, en partie, est produite par le même muscle qui produit l’ « a ».

Pour se convaincre s’il l’on peut se représenter en même temps

  1. M. Paulhan m’a, en son temps reproché d’avoir rendu incorrectement son assertion. Voici ses paroles : En prononçant la voyelle a, et j’avais traduit, tandis qu’il se représente a ; ce n’est pas exact mais pour ce qui concerne la discussion, il est indifférent qu’on prononce réellement a ou qu’on se le représente.