Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
revue philosophique

qui nous entraînent à l’action éveillent peut-être en nous un autre écho que celui de la jouissance. Qu’on fasse attention, par exemple, au rythme et au mouvement des grands airs patriotiques : ne répondent-ils pas à quelque sublime besoin de colère et par conséquent de douleur ? Et n’est-ce pas pour cela qu’ils nous entraînent d’un élan si impétueux à l’action et à la lutte ?

Réfléchissons enfin que, d’une manière générale, tout plaisir enveloppe deux phénomènes psychologiques unis, mais distincts : l’amour et le désir. Le désir stimule le mouvement, ou, si l’on veut, c’est le mouvement même ; mais l’amour, quand il se trouve ou se suppose satisfait, jouit en paix de sa possession. Mantegazza nous dit très bien que toutes les tendances affectives de la vie sont dominées par ce principe fondamental : se rapprocher de ce qu’on aime. On travaille donc à s’en rapprocher tant qu’on ne l’a pas, et ce rapprochement est agréable, et le plaisir que l’on pressent et celui que l’on goûte déjà ne peuvent que hâter le mouvement même. Mais quand on a ce que l’on aime, pourquoi le mouvement continuerait-il ? Ou, s’il est impossible qu’il cesse complètement dans les conditions de notre vie, pourquoi ne tendrait-il pas à se pacifier ? L’ « acto » de la vieille métaphysique aristotélicienne, qui caractérise si profondément le souverain bonheur, n’est pas la même chose que le mouvement.

Est-il vrai, d’autre part, que la douleur ait continuellement pour effet de suspendre ou d’arrêter le mouvement ? Cela est vrai dans beaucoup de cas, et nous en apercevons, quant à nous, trois principaux.

D’abord, si la douleur a été assez prolongée ou assez forte pour nous épuiser, il est certain que nous succombons sans résistance à l’abattement qui nous envahit. Or, toute douleur tend à l’épuisement : c’est là son terme, ou du moins l’un des deux termes où elle aboutit, l’autre pouvant être la restauration des forces qu’elle a usées, ou une espèce d’ajustement qui représente la résignation de l’organisme, plus brièvement enfin la guérison.

La douleur arrête encore en nous le mouvement quand nous sentons que le mouvement l’avive, la redouble ou même simplement l’entretient. Un homme encore fatigué d’une longue course, et qui est bien assis ou bien couché, ne bouge plus. Un rhumatisant qui sait bien que, s’il remue le bras ou la jambe, il va souffrir à en crier, a soin de prendre toutes les précautions nécessaires pour que les membres atteints demeurent dans l’immobilité. Ainsi encore nous écartons souvent les idées qui nous attristent, et, dans certaines circonstances de la vie, si nous pouvons physiquement ou moralement