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JOLY.la sensibilité et le mouvement

l’expérience universelle, car la réalité de cette influence ne fait aucun doute pour personne. Il y a lieu cependant, sinon de l’établir, au moins de l’étudier, de la décrire et d’en discerner les lois principales. Comment le plaisir, comment la douleur influent-ils sur nos mouvements ? Voilà ce que nous voudrions maintenant nous demander.

Ici, la sensation physique n’est plus seule en jeu, et il est impossible, quand on parle des mouvements coordonnés sous l’influence du plaisir ou de la douleur, de se borner à la seule impression du moment. Le sentiment général de l’existence et de ses conditions de toute nature s’éveille. L’imagination rappelle et groupe avec rapidité de nombreuses représentations de douleurs ou de jouissances passées. L’intelligence aussi entre en scène, et le sentiment vient à chaque instant se mêler à la sensation : tous deux forment promptement un tout complexe qui devient comme indissoluble, et dont la physionomie change à chaque instant, selon que varient les proportions dans lesquelles se combinent les deux éléments. Il y a ici, comme partout, gradation, continuité. Donc, tout en réservant la question des différences plus ou moins profondes qui séparent la sensibilité physique et la sensibilité morale, nous pouvons considérer tout d’abord leurs ressemblances et les rapports qui les unissent. Or, ces ressemblances sont évidentes. Si, par exemple, nous souffrons d’un effort violent et difficile que l’un de nos membres est obligé d’accomplir parce que son action se trouve gênée ou entravée, ne souffrons-nous pas aussi à l’idée de tous les efforts que réclame de nous, soit un ennemi, soit encore une œuvre épineuse où nous nous croyons exposés à des contrariétés de toute sorte ? Mais cette souffrance ne doit-elle pas ensuite réagir de la même manière sur notre activité pour la surexciter ou pour l’abattre ? Entrons sans plus tarder dans ce nouvel ordre de questions.

M. Mantegazza, dont les ouvrages sur la sensibilité ont été traduits en français, expose ainsi, dans l’un de ses livres[1], l’action du plaisir et de la douleur sur le mouvement en général : « Le premier mouvement de plaisir est expansif, centrifuge ; le premier mouvement de douleur est centripète, comme si l’on rentrait en soi-même. La joie nous fait courir hors de la maison, la douleur nous y fait rentrer ; la joie nous fait ouvrir la fenêtre, la douleur nous la fait fermer. Joyeux, nous cherchons la lumière, le mouvement, le bruit, les hommes ; malheureux, nous voulons les ténèbres, le repos, le silence, la solitude. C’est une loi générale qui admet des exceptions comme toutes les

  1. Mantegazza. La physionomie et l’expression des sentiments. 1 vol.  de la Bibliothèque phil. internat. F. Alcan. pag.  96 et 97.