Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
JOLY.la sensibilité et le mouvement

excitation qui ne suffit pas pour éveiller la sensibilité suffit donc pour provoquer un mouvement réflexe. Et d’autre part, si l’excitation a provoqué une sensation trop énergique de plaisir ou de douleur, c’est le mouvement réflexe qui en est appauvri d’autant. « Les excitations très vives et plus ou moins prolongées du système nerveux central, dit Vulpian[1], peuvent diminuer ou même faire disparaître momentanément le pouvoir réflexe de la moelle épinière. » Qui ne sait enfin que les actes réflexes sont d’autant plus intenses et d’autant plus nets que la moelle seule entre en jeu, indépendamment des centres supérieurs encéphaliques ? La décapitation augmente les réflexes[2] ; aucun physiologiste cependant ne croit que la sensibilité survive à la séparation du tronc et de l’encéphale.

On peut donner encore d’autres preuves tirées soit de la clinique, soit des expériences faites avec des agents toxiques ou médicamenteux. Certes, s’il est un cas où les actes réflexes semblent bien être le résultat d’une sensation et d’une sensation voluptueuse, c’est l’ensemble des actes qui concourent aux fonctions de génération. Là cependant il est des faits prouvant que les actes réflexes qui produisent soit les mouvements préparatoires, soit les mouvements définitifs de la fonction, sont encore possibles avec une sensibilité ou pervertie ou même supprimée. Lasègue[3] a étudié un malade atteint d’une anesthésie partielle d’origine encéphalique : les mouvements préparatoires dont nous parlons restaient possibles chez lui, et cette aptitude contrastait singulièrement avec une insensibilité complète de l’organe et de toute la région environnante. Il est de même des cas où les derniers actes qui, eux aussi, sont évidemment réflexes, s’accomplissent comme d’habitude, et où cependant la sensation spéciale qui paraît en être la cause est remplacée par « une sensation âpre, irritante, véritablement douloureuse » ; quelquefois même cette sensation s’émousse, « devient nulle » ou indifférente[4].

Voici enfin les faits expérimentaux. Les bromures sont au premier rang des substances qui diminuent le pouvoir excito-moteur des réflexes. « Mais il faut bien remarquer que si le pouvoir excito-

  1. Dictionnaire Dechambre, art.  Moelle épinière.
  2. La plus vraisemblable des explications, celle qui paraît telle à Vulpian et à Maudsley, c’est que les excitations qui ne peuvent plus se continuer dans la direction de l’encéphale (où se trouvent les conditions physiologiques de la sensibilité consciente et de la représentation) se portent, par trajet récurrent, sur les cellules postérieures, et de là sur les cellules motrices.
  3. Études médicales, tom.  ii, pag.  31.
  4. Leçon du professeur Fournier à la clinique de l’hôpital Saint-Louis, insérée dans la Semaine médicale du 11 décembre 1884. Elle a dû être reproduite dans son volume sur la Période préataxique du tabès.