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avec le bras qui avait conservé la puissance musculaire qu’à la condition de regarder son nourrisson. Si les objets environnants venaient à distraire son attention de la position de son bras, ses muscles fléchisseurs se relâchaient peu à peu, et l’enfant était en danger de tomber[1]. »

Les phénomènes de ce genre ne sont pas rares non plus chez les hystériques. Lasègue, dans l’étude que nous avons déjà signalée, en rapporte plus d’un, et dans ces accidents si curieux il y a plusieurs choses à remarquer. La première, c’est que la sensibilité n’est pas indispensable au mouvement et que dans les cas d’anesthésie complète le muscle peut encore se mouvoir. C’est un signe évident que quand la sensibilité dite musculaire est intacte, elle n’est que la conséquence du mouvement affectant les nerfs sensitifs de la région où il a opéré des déplacements de diverse nature. Si en effet le sens musculaire précédait le premier[2] mouvement, s’il le devançait en quelque sorte comme un éclaireur par des avertissements préventifs, nous devrions conclure de la seule production du mouvement que la sensibilité musculaire s’est manifestée. Or, cette conclusion serait erronée, les faits rapportés le prouvent sans réplique. L’activité musculaire ne se sent donc qu’après s’être exercée, qu’après avoir produit sur les membres intéressés une action positive ; de même que nous n’entendons notre voix qu’après l’avoir émise et que la glace ne nous renvoie notre image qu’après l’avoir reçue. Si nous pouvons croire quelquefois à une simultanéité nous savons cependant que cette simultanéité n’est qu’apparente : les moyens d’analyse dont la science expérimentale dispose aujourd’hui rétablissent aisément l’ordre de succession.

Il y a une seconde circonstance à noter. À l’état normal, l’activité musculaire se guide elle-même par les sensations qu’elle provoque et qui suivent son effort avec une très grande rapidité : mais elle peut aussi apprendre à se conduire par des impressions d’une autre nature, comme un homme qui, frappé tout d’un coup de cécité, n’oserait plus bouger, mais peu à peu se hasarderait à marcher et à agir en se conduisant par l’ouïe et par le tact. Or, les impressions qui encouragent nos malades de tout à l’heure à agir sont bien afférentes, centripètes, postérieures, de si peu que ce soit, au mouvement lui-même. On a constaté dans les exemples précédents que l’anesthé-

  1. Reproduit par Trousseau (art.  cité, p. 776). Ch. Bastian cite un cas tout semblable.
  2. Car n’oublions pas qu’en toute hypothèse le second est précédé par une sensation qui le guide et l’avertit : nous l’avons déjà reconnu plus d’une fois et cela ne peut pas être nié. Mais cette sensation-là est le résultat d’un mouvement antécédent.