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JOLY.la sensibilité et le mouvement

mier est plutôt celui des psychologues, qui cherchent dans les faits de conscience l’origine hyperorganique du mouvement : le second est plutôt celui des physiologistes qui étudient de préférence la manifestation concrète et mesurable du mouvement. Cette diversité de points de vue n’a rien d’étonnant ni d’inconciliable : le mouvement proprement dit, la cause intime du mouvement, l’instrument physique du mouvement, sont même trois termes difficiles à séparer. Aussi les trois mots sont-ils pris souvent l’un pour l’autre. Beaucoup de physiologistes discutent, comme ils en ont le droit, sur l’effort et son élément psychique ; beaucoup de psychologues, d’autre part, raisonnent sur le sens musculaire, à l’exemple de Maine de Biran.

La difficulté commune aux uns et aux autres est de savoir si le sentiment qui constitue ce sens précède le mouvement ou le suit. L’effort se sent-il avant que le mouvement qu’il commande soit exécuté et que son exécution ait donné lieu, si peu que ce soit, à du plaisir ou à de la douleur transmis par les nerfs sensitifs qui entourent l’élément musculaire ? L’individu sent-il son muscle se préparer à l’action et donner son mouvement, ou ne sent-il que les résultats produits sur les régions environnantes, et, une fois le travail exécuté, par le travail aisé ou difficile, excessif ou modéré du muscle ? Tous nos lecteurs savent que finalement c’est bien là le problème posé et agité à propos du sens dont nous parlons, qu’on l’appelle sens du mouvement, sens de l’effort ou sens musculaire. C’est un point trop important dans la question qui nous occupe pour que nous puissions l’éluder[1].

  1. Si nos lecteurs veulent recourir aux sources de cette question, telle du moins qu’elle est agitée dans ces derniers temps nous signalerons quatre groupes d’écrivains ou de chercheurs qui l’ont traitée à des points de vue spéciaux.

    1o Il y a ceux qui parlent du sens musculaire sans s’inquiéter de savoir si les sensations qu’il donne sont antérieures ou postérieures ou contemporaines. Il y a un sens musculaire, cela leur suffit pour ce qu’ils ont à établir : ils n’en sont pas moins précieux à consulter, à cause des faits qu’ils apportent et qu’ils analysent. Tel est le point de vue de Claude Bernard (Leçons sur le système nerveux t.  I, lecon xiv, p. 247 et suivantes), de Gilbert Ballet (dans son article sensibilité du Dictionnaire Jaccoud), de Mathias Duval (dans son article muscle du même dictionnaire, de Georges Pouchet (Revue philosophique de novembre 1878.

    2o Il y a ceux qui croient et cherchent à démontrer que ce sens est un sens d’innervation centrale ». donc, suivant eux, antérieur au mouvement exécuté par les muscles. On peut se contenter de citer ici Jean Müller, Bain et Wundt. Mais Wundt seul (Éléments de Psychologie physiologique, t.  I, ch.  vi) essaye de donner autre chose qu’une assertion et s’efforce de justifier sa théorie. On peut peut-être rattacher encore à ce système la thèse brillante de M. A. Bertrand : Sur l’aperception du corps humain par la conscience, ch.  vii.

    3o Il y a ceux qui croient que les sensations musculaires sont centripètes et non centrifuges, autrement dit que les sensations musculaires sont résultats et non causes du mouvement exécuté. Ils ne nient pas, cela est clair que la sensation, résultat d’un premier mouvement, n’influe sur la production d’un second,