Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
STRICKER.de la parole et des sons intérieurs

Mais cesse-t-on d’agir sur les touches, l’appareil à écrire cesse aussi de fonctionner. Le cas « Vamossy » dont nous venons de parler nous donne une explication fondée sur l’observation personnelle de l’état de pseudo-aphasie. C’est vraiment une heureuse circonstance que le pseudo-aphasique soit un médecin particulièrement doué, qui non seulement est capable de s’observer lui-même, mais a encore reçu une instruction appropriée à son état. Ses observations nous apprennent que, quand il perd la parole, il possède les représentations de mots, qu’il innerve les muscles du langage, mais qu’ils ne lui obéissent pas assez vite. Ce cas nous rappelle le bégaiement, car, chez lui aussi, la perte de la parole a lieu dans un état de surexcitation. Cependant je ne penche pas à l’identifier avec le bègue. Quand j’imite ce dernier, je concentre tellement mon attention sur l’ensemble des sons que je suis incapable de m’en représenter d’autres en même temps ; à plus forte raison sera-ce le cas pour le vrai bègue qui, autant que mes observations personnelles me permettent de le constater, s’efforce avec une certaine hâte de vaincre les difficultés. Dans notre cas, au contraire, les représentations de mots passent par-dessus les difficultés, les idées se suivent, bien qu’elles ne puissent se faire entendre.

IV. Réponse a M. Paulhan

J’ai dit que l’appareil à touches peut être mis en activité de trois manières : 1o à l’audition des sons ; 2o à la lecture des mots ; 3o par les habitants de la maison. Il est clair que l’appareil ne peut parfaitement obéir aux trois facteurs à la fois, à moins que le même mot ne soit articulé des trois côtés à la fois.

Quand j’ai un texte sous les yeux et que, pendant que je le lis, on vient à me le réciter, je puis très bien suivre mon interlocuteur, le texte servant à me rendre encore plus clair ce qu’il me dit. Dans ce cas, les deux gardes ne font que répéter le même texte. Mais la chose devient bien plus difficile, quand le texte lu diffère de ce qui se dit ; comme si, par exemple, je lisais un chant de l’Iliade en même temps que j’écouterais un drame de Skakespeare. Ce n’est pas cependant tout à fait impossible. On peut admettre que deux individus s’exercent à écrire en même temps sur la même machine. Si l’un veut écrire le mot « Roland » et l’autre le mot « Riese », ils se rencontreront à la touche R, qui ne sera frappée qu’une fois, puis l’un touchera les lettres « oland », l’autre, les lettres « iese ». Et, en effet, semblable chose se passe fréquemment en nous. Quand je pense en