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JOLY.la sensibilité et le mouvement

L’observation clinique dit de même avec Trousseau[1] : « La sensibilité cutanée et la sensibilité profonde jouent ici (dans le jeu combiné des muscles) un rôle très important. C’est cette sensibilité qui est le régulateur des mouvements, en ce sens que, par la sensibilité, c’est-à-dire par l’impression produite d’abord sur la peau, puis sur les surfaces articulaires, nous apprécions la forme, le poids, la résistance. Cette double sensibilité, cutanée et profonde, est le moniteur de l’intelligence et par conséquent de la volonté… L’individu qui, privé de cette sensibilité, va exécuter des mouvements, est dans un cas analogue au sourd qui va parler. L’éclat de notre voix est généralement proportionné à la nécessité de nous faire entendre. Or, si nous sommes sourds, nous n’avons plus de moyen de juger de l’intensité de notre voix : nous l’élevons de la manière la plus inopportune, ou nous l’abaissons de telle sorte que nous ne sommes plus entendus. »

Tout cela est parfaitement clair et définitif. Mais faisons attention aux traits saillants des deux descriptions que nous venons de résumer. Si la destruction de la sensibilité rend les mouvements incertains, maladroits, décousus.., elle ne les supprime pas. « Un membre insensible peut encore se mouvoir », dit Claude Bernard. Parmi les expériences destinées à le montrer, voici l’une des plus connues :

« On fit sur un épervier la section des filets cutanés de la serre : la section fut faite en haut et en dehors du métatarse. Le nerf se trouve logé entre le tendon des muscles et l’artère qui se trouve au-dessous. En soulevant le nerf avec un petit cordon, on en fit la section. Avant l’opération, l’animal avait naturellement les deux serres sensibles et les retirait lorsqu’on les pinçait. Aussitôt après l’opération, il y eut insensibilité complète de toutes les parties situées au-dessous de la section du nerf. Cependant l’animal saisissait énergiquement les objets avec les serres de cette patte, et il se tenait également bien avec les deux pattes sur le barreau de sa cage. Quand on pinçait la patte opérée sans qu’il le vît, il ne faisait aucun mouvement[2]. »

La clinique pourrait fournir beaucoup de faits tendant à la même conclusion. Ainsi M. Gley rapportait récemment ici même[3], d’après le Dr Block, l’exemple d’une malade hémi-anesthésique gauche. Elle n’avait plus la notion de la position de sa main, et elle était incapable

    côté avait rendues partiellement insensibles, une patte seulement se relevait pour écarter mes doigts : c’était la patte qui avait conservé la sensibilité ; l’autre s’agitait sans but. » Ibid.

  1. Dictionnaire Jaccoud, art.  déjà cité sur l’ataxie locomotrice.
  2. Claude Bernard, leçon citée.
  3. Voyez le numéro de la Revue philosophique de décembre 1885 et les comptes rendus de la Société de Biologie du 1er mars 1884.