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troisième suppose les deux autres, comme la seconde enveloppe la première. Tout cela est acquis et ne soulève aucune difficulté. Il était toutefois nécessaire de rappeler ces distinctions pour expliquer la suite de notre plan.

V

Entre ces trois formes de mouvement, quelle place tient la sensibilité ? une place intermédiaire entre les deux formes inférieures et la forme supérieure : elle est postérieure aux deux premières, elle devance, prépare et guide la troisième.

L’activité coordonnée que manifestent les actes extérieurs des êtres vivants est un fait très complexe. Il y a là une force appelée, non seulement à faire effort et à réagir, mais à se diriger dans un certain sens, à faire converger plusieurs mouvements vers un même but, à modifier enfin, selon les circonstances, l’énergie des efforts et la composition de ses mouvements. Il lui faut pour cela des stimulants et des avertissements ; c’est la sensibilité qui les lui donne, et Claude Bernard a eu le droit de dire[1] : « La sensibilité et le mouvement volontaire paraissent liés physiologiquement ; à mesure qu’on détruit la sensibilité, il semble qu’on enlève le mouvement volontaire. »

En effet, au fur et à mesure de ses expériences, le grand physiologiste ne manque pas de faire remarquer à quel point les mouvements sont vagues, mal coordonnés, incertains, dès que la sensibilité est abolie. L’animal n’a plus rien qui lui permette d’apprécier l’énergie de ses actions musculaires et la portée d’un effort donné. Il ne semble plus avoir conscience de ce qui se passe dans ses muscles, et, par conséquent, il est hors d’état d’en assurer les mouvements. Les membres s’agitent convulsivement et sans but. Si l’une des deux parties du corps a gardé la sensibilité, tandis que l’autre l’a perdue, la première peut encore entraîner la seconde dans une action commune ; mais la seconde reste en quelque sorte passive, et sa coopération machinale se fait sans un véritable concours, c’est-à-dire sans harmonie[2].

  1. Leçons sur le système nerveux, t.  I, leçon xiv.
  2. « Lorsque je tenais par le tronc entre deux doigts les grenouilles sur lesquelles je voulais expérimenter, ces animaux faisaient, pour se débarrasser de l’étreinte qu’ils subissaient, des efforts dans lesquels les pattes postérieures pendantes se soulevaient pour venir s’arc-bouter contre les doigts et les repousser. Or, chez les grenouilles que la section des racines lombaires postérieures d’un