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manière que je dus reconnaître en lui un individu très intelligent. Après l’examen, je le priai de venir me trouver et de me donner des renseignements sur son état.

Je les reproduis ici tels qu’il me les a donnés.

M. Étienne Vamossy, étudiant en médecine, âgé de vingt-trois ans, n’a eu, en consultant ses souvenirs, d’autre maladie que la fièvre intermittente, peut-être aussi la rougeole et, à sa septième année, une pneumonie. Comme enfant et comme élève du gymnase, il a souffert de maux de tête irradiant du front et par accès. Autant qu’il pouvait s’en souvenir, cette douleur était provoquée par des causes extérieures et passait après un sommeil prolongé. La perturbation de langage dont il souffre remonte à son enfance. Ses parents lui ont dit que, alors, il avait parlé couramment et que ce n’était que plus tard qu’elle s’était manifestée. Elle s’est aggravée vers la fin de ses études au gymnase. Elle a surtout lieu quand la phrase à former requiert une attention particulière, mais non pas toujours. C’est surtout dans les moments de surexcitation qu’elle apparaît. Elle consiste en ce qu’il se représente le mot et ne peut pourtant le prononcer. Il distingue très bien l’absence de représentation de mots qui caractérise son état, de l’oubli.

Il assure qu’il innerve les mots, quoiqu’il ne puisse les prononcer. Il a suivi mes cours, lu mes écrits, il connaît ma théorie du langage, il a le sentiment des initiales à la pensée des sons, il sait donc exactement ce que cela signifie, quand il dit qu’il innerve les muscles. Il croit que c’est une lourdeur, un fonctionnement défectueux des muscles qui fait qu’ils n’obéissent pas aux impulsions. Il a un sentiment semblable au larynx.

Qu’il me soit ici permis de renouveler un argument dont je me suis déjà servi dans d’autres occasions. Par « aphasie » on entend un état dans lequel on ne peut parler, parce qu’on en a perdu la faculté, oublié les représentations des mots. Le type normal de cet état nous est fourni par les cas où nous oublions les noms des objets qui nous sont connus. Je prie le lecteur de faire une expérience, c’est qu’au cas où il ne pourrait se souvenir d’un mot, il prenne la plume pour l’écrire. Je ne doute pas un instant qu’il ne réponde sur-le-champ qu’il n’est pas besoin de faire l’expérience, que quand on a oublié un mot, on ne peut pas non plus l’écrire. L’écriture peut ici se comparer à la fonction d’un mécanisme secondaire, travaillant à côté de la machine à parler et dépendant d’elle. Quand les touches prononcent le mot « pater » il peut se faire qu’outre le fonctionnement de l’appareil à langage, qui peut agir si faiblement qu’on n’en perçoive l’action qu’intérieurement, l’appareil à écrire entre aussi en activité.