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STRICKER.de la parole et des sons intérieurs

III. Un cas de pseudo-aphasie.

Reconnaissant, comme je l’ai dit en commençant, une très grande importance aux observations pathologiques, je vais mettre à profit un événement qui prête à la casuistique, pour atténuer une objection que, sur la base d’observations pathologiques, on pourrait élever contre ma théorie. Il y a des individus qui, incapables d’exprimer leurs idées en paroles, peuvent très bien les écrire. Ces cas sont rares. On peut regarder comme règle que la perte de la parole entraîne celle de la faculté d’écrire, c’est-à-dire qu’il y a tout à la fois cas d’aphasie et d’agraphie. Mais si un bon observateur me montrait un cas où l’aphasie existerait sans agraphie, cela nuirait à ma théorie. Alors il faudrait supposer que le principe qui admet l’homogénéité des centres du langage est faux ; il faudrait admettre que nos images motrices peuvent aussi se rattacher aux caractères écrits, comme le soutient en effet M. Paulhan.

Je ne puis contredire ces assertions en tant qu’elles s’appuient sur l’observation de cas pathologiques qu’en examinant tous ceux qui s’offrent à moi. Je n’ai vu jusqu’à présent que deux cas où l’on pût admettre l’existence de l’aphasie sans agraphie. Dans les deux je suis parvenu à montrer que cette assertion reposait sur une observation insuffisante. Le premier cas, dont j’ai parlé ailleurs, présente un moindre intérêt que le second que je vais faire connaître.

Il y a quelque temps, on m’a communiqué qu’un étudiant en médecine s’était montré aphasique à ses examens, qu’il n’avait pu répondre verbalement aux questions, mais qu’il avait sur-le-champ écrit des réponses exactes. Pas moyen d’admettre qu’il y eût simulation, les étudiants cherchant à faire leurs examens aussi bien que possible. Il n’est pas non plus admissible que l’un d’eux voulut se permettre une plaisanterie en présence de la commission appelée à l’examiner.

Aussitôt après, le même étudiant se présenta à la commission dont je fais partie. Je lui pose une question ; il garde quelques secondes le silence, prend ensuite un crayon et écrit la réponse. Je déclarai aussitôt à la commission que je reconnaissais comme légale cette manière de répondre, car la réponse était juste, si même l’étudiant était momentanément incapable de s’exprimer. Je lui adressai d’autres questions auxquelles il répondit par écrit. Enfin, quelques minutes après, quand il crut pouvoir être sûr de bien passer son examen, il commença à parler et répondit à des questions assez difficiles de