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ANALYSES.w. wundt. Essays.

liberté avec la liberté métaphysique. C’est une chose étrange, remarque Wundt en terminant, qu’on ait déclaré irréligieux le déterminisme. Nous nous sentons libres, tandis que nous sommes les agents de l’évolution morale, et dépendants, au contraire, quand notre personnalité disparaît dans l’infini divin d’un ordre moral de l’univers.

Ce volume se ferme, on l’a vu, par un essai sur Lessing et la méthode critique. Wundt considère la critique dans son rapport avec l’induction dans les sciences de la nature, et la critique, en effet, dès qu’elle ne fonde plus ses jugements sur l’autorité d’un législateur ou d’un modèle, devient une sorte de recherche méthodique des lois de la composition dans l’art et des caractères généraux de la beauté. Les faits interrogés sont cette fois les œuvres mêmes du génie humain, bonnes ou mauvaises. Un fait mal vu trompe le physicien, une œuvre manquée instruit le critique, et c’est un avantage que ce dernier a sur l’autre. Un autre avantage est que les objets de la critique sont la création de l’esprit même et que l’activité qui les a produits existe en chacun de nous. Ceci, pourtant, a ses dangers, et le préjugé gâte souvent le critique, quand il ne possède pas la pénétration du psychologue.

Wundt fait honneur à Lessing d’avoir été un pénétrant psychologue, d’avoir renouvelé la critique étroite de ses devanciers au point d’en faire une méthode, et il n’hésite point à placer sa Dramaturgie au rang des Discorsi de Galilée et des Méditations de Descartes. Mais il n’exagère pas l’éloge et avoue que Lessing, pour avoir donné un bel exemple de la méthode d’induction en critique, n’a pourtant pas donné les règles de ce goût qu’il laissait planer au-dessus de la critique.

Je ferais volontiers une réserve, et peut-être faut-il attendre de a critique des conseils plutôt que des lois. En tout cas, il convient de distinguer entre cette branche de la psychologie, qui est l’esthétique, et l’histoire naturelle des productions du génie humain dans l’art. La critique puise à ces deux sources ; elle s’instruit auprès de l’esthéticien et auprès de l’historien ; elle leur emprunte et elle leur fournit en même temps. L’esthéticien en reste à l’analyse des conditions les plus générales ; l’historien est entraîné au cours de l’évolution, et la critique courante, celle souvent de Lessing lui-même, ne dépasse pas beaucoup l’étude des circonstances variables et actuelles de la production artistique ou littéraire.

Lucien Arréat.