Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
revue philosophique

douleur pleure. C’est une troisième classe de mouvements, qui est la plus soustraite à la volonté. La honte et les larmes y appartiennent. Notre visage rougit, observe Wundt, peut-être parce que nous savons qu’on le regarde. Quant aux larmes, Darwin en attribue l’origine à une pression exercée par les muscles de l’œil dans les cris. Mais l’enfant crie et ne pleure pas, et l’on peut simuler les larmes. Il est plutôt vrai, selon Wundt, qu’une émotion pénible nous fait pleurer comme une excitation douloureuse sur l’œil en tire des larmes, et les larmes seraient encore une autre forme de la loi d’expression des impressions semblables.

Cette étude introduit naturellement à cette du rapport qui lie la langue et la pensée. Comme les mines de notre visage et les gestes de nos mains, la langue n’est, en effet, à son origine, qu’une forme spontanée d’expression des états internes de l’âme par des mouvements extérieurs. Mais ce don de la nature a semblé si merveilleux qu’on y a voulu voir un don de Dieu. Herder hésite entre ces deux origines. Guillaume de Humboldt touche juste, le premier, estimant que la langue est à la fois une cause et un effet de la pensée, et si les physiologistes ont tenté de ramener ce phénomène du langage aux actions réflexes, les philologues n’ont pas cessé d’y découvrir encore une création originale. ·

L’origine du langage dans l’espèce humaine échappe à l’expérience directe ; du moins nous avons la ressource d’étudier l’enfant et le sourd-muet, ces créateurs toujours à l’œuvre du son et du geste.

Les premiers sons articulés de l’enfant ne sont pas un langage, ils sont des matériaux qui serviront au développement du langage. On a eu tort de ne pas tenir compte de l’imitation réciproque de l’enfant et de son éducateur. Les onomatopées sont différentes chez les enfants de langue différente. L’enfant allemand dit tuck-tuck ou hü-hü pour coqs et poules ; il dirait kok-kok comme le petit français, si coq était un mot allemand. L’enfant ne crée pas l’onomatopée, il l’applique même à l’animal qu’il ne connaît pas encore. Il serait donc puéril d’y chercher la racine des mots, de reconnaître stellen dans st, par exemple. L’enfant crée le son, mais la signification est donnée (le da pour le démonstratif allemand, le tem. pour le tiens français). Mum et ham, pour manger, ne sont que des gestes articulés.

L’enfant redouble volontiers les sons qu’il s’exerce à reproduire (lulu pour rollen, rouler). Il reproduit le rythme plus fidèlement que la hauteur des sons ; il comprend le geste plutôt que les mots : ce geste est si spontané, qu’on ne sait si l’enfant le crée ou si l’éducateur le donne. Le mot prend plus tard sa valeur abstraite, et le concept se lie au mot étroitement. Parler ne s’apprend pas, en définitive, à la manière d’une science, mais comme on apprend à manger, à boire, à marcher, et s’apprendrait toujours de quelque manière. Les sourds-muets répètent sous nos yeux l’expérience de Psammétique. Le premier langage de l’homme est aussi le leur ; il est fait de mouvements articulés, et non