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diate du rapport de la conscience avec le monde extérieur, seul le sentiment nous révèle comment la conscience reçoit cette action du dehors en vertu de ses dispositions constantes et accidentelles. Chez l’enfant, les sentiments dépendent immédiatement de la qualité et de l’intensité des impressions sensorielles ; mais nos sentiments complexes, nos états intellectuels, moraux et esthétiques supposent un riche fonds de représentations ordonnées et élaborées par la pensée. Ces états ne dérivent donc pas d’emblée du sentiment : ils dépendent du rapport où les représentations nouvelles se trouvent avec les anciennes dans la conscience. Une certaine préparation est nécessaire, on le sait, au plaisir esthétique. Bref, il nous faut admettre des précédents psychiques, et la tâche du psychologue, à l’égard des sentiments, est d’essayer une reconstruction de ces états précédents (Vorgänge), états qui ne sont pas tout à fait inconscients, mais fondus dans le résultat.

L’étude des sentiments est difficile à cause de leur complexité. De là, nos classifications artificielles. Aucune de ces trois formes, sentir (fühlen), désirer (begehren), vouloir (wollen), ne peut exister sans les autres qu’on en voudrait tirer. Le vouloir, surtout, apparaît l’état central, loin d’être l’état final ; il est une fonction aussi primitive que la représentation. Les deux moments de la volonté, direction vers le représenté, au dedans, et vers l’acte au dehors, se confondent chez les animaux inférieurs, et chez l’homme l’exécution, après exercice, suit aussitôt le choix représentatif. Nos sentiments intellectuels, moraux et esthétiques échappent en apparence à cette relation avec le vouloir ; ils y rentrent aussitôt que, ne limitant plus la volonté à l’acte extérieur, on la considère comme une activité fondamentale en face des représentations. Wundt laisse le soin aux psychologues de développer ce point de vue.

Un mot encore. Tout sentiment se passe entre le plaisir et la douleur. Or, plaisir et douleur se laissent ramener aux deux directions opposées du vouloir, qui est toujours positif ou négatif. De plus, la volonté est une ; l’acte externe est une simple réaction de l’acte interne.

On déduirait donc plutôt du vouloir, vu ces avantages, les autres formes des émotions, qu’on ne déduirait du sentiment la volonté. Il ne s’agit pas ici, du reste, de formes diverses, mais d’états qui se croisent et s’enchaînent. La distinction du sentiment et de la représentation n’est pas davantage radicale, et l’usage que nous faisons nécessairement de ces termes, comme des termes classiques vorstellen, fühlen, wollen, ne doit pas nous faire oublier que nous avons affaire à des concepts créés par nous-mêmes.

Passons à l’expression des émotions. Wundt fait une revue rapide des travaux plus ou moins sérieux dus à Porta, à Lavater, à Gall, à Harless, à Piderit, à Gratiolet, et il arrive enfin au récent ouvrage de Darwin. Darwin, dit-il, a mis en lumière ces deux faits : qu’une expression pareille s’observe chez les différentes classes d’hommes et chez